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Pédagogie

Global Teacher Prize : Nicolas Gaube, «prof heureux» de l’Hérault parmi les meilleurs du monde

Depuis vingt-deux ans, le professeur de SVT n’a cessé d’améliorer sa pédagogie pour enseigner au mieux sa matière à ses collégiens. Partagée sur sa chaîne YouTube, sa recherche constante d’innovation lui vaut d’être sélectionné dans le top 10 du prix remis ce mercredi 8 novembre.
Après dix-sept ans dans son collège, Nicolas ne quitterait ses adolescents pour rien au monde. (Sylvain Thomas/AFP)
publié le 8 novembre 2023 à 16h47

«Bonjour, je m’appelle Nicolas et je suis un prof heureux.» Sa phrase d’introduction sur YouTube sonne comme la meilleure description que l’on puisse faire de Nicolas Gaube. Professeur de sciences de la vie et de la terre (SVT) au collège René-Cassin d’Agde (Hérault), l’enseignant de 46 ans anime aussi une chaîne sur la plateforme. Vulgarisateur en sciences de l’éducation, il partage sa passion, sa méthode de travail et son quotidien devant ses cinquièmes et ses quatrièmes. Ce qui pourrait lui permettre de remporter un million de dollars (936 000 euros), ce mercredi 8 novembre, en début de soirée.

Mardi après-midi, l’enseignant donnait cours dans son établissement, avant de sauter dans un TGV direction gare de Lyon, à Paris. Aujourd’hui, il est dans les couloirs du siège parisien de l’Unesco pour, peut-être, devenir le lauréat 2023 du Global Teacher Prize. Possible récompense d’un travail de longue haleine, Nicolas Gaube fait partie des dix finalistes concourant pour obtenir ce prix décerné par la Fondation Varkey (une œuvre philanthropique fondée par un magnat indien de l’enseignement privé) en partenariat avec l’Unesco. Sur plus de 7 000 candidatures provenant de 121 pays à travers le monde, il est le dernier européen en lice pour recevoir ce prix du meilleur prof au monde.

En quittant les bancs de la faculté de médecine pour se plonger dans la biologie et la géologie, le jeune Nicolas Gaube ne se rêvait pas parmi les enseignants les plus innovants au monde, mais il le savait : il voulait enseigner. «En sixième déjà, je sentais cette envie», évoque-t-il au téléphone. Parfois tuteur pour ses camarades en mathématiques, il se voyait plutôt enseigner l’anglais. Puis est venue la médecine. «Ce qui m’intéressait, c’était la relation médecin-patient, pas si loin de la relation prof-élève.»

Recherche constante d’amélioration

Cela fait vingt-deux ans que cette relation l’anime. D’abord remplaçant dans l’académie de Créteil, le professeur a posé ses valises à Béziers (Hérault) pour enseigner à quelques kilomètres de là. Après dix-sept ans dans son collège, qui demande à être classé en REP (réseau d’éducation prioritaire), Nicolas ne quitterait ses adolescents pour rien au monde. «La cinquième et la quatrième, c’est une période cruciale, les jeunes se construisent à ce moment-là.» Alors entre ses paillasses de SVT, on entend le sourire du professeur au travers du téléphone. «Je me sens bien et très utile.»

Pour y parvenir, Nicolas Gaube explore constamment différentes pistes d’enseignement. Il a par exemple décidé de réorganiser physiquement les espaces dans sa classe et de créer trois pôles. Laboratoire, documentaire, numérique. Aujourd’hui, le professeur de SVT pense avoir trouvé un modèle qui fonctionne, «jusqu’à [sa] prochaine découverte». Tout en admettant «chercher à [s]e rapprocher d’un modèle idéal, qui n’existe pas forcément». Apprendre c’est échouer, reconnaît le pédagogue qui a aussi arrêté de noter ses adolescents.

«C’est clairement le professeur préféré des collégiens, raconte son collègue professeur de technologie Sébastien Dussault. Pour avoir assisté à ses cours, il transmet sa passion pour l’éducation en prenant le temps avec chaque élève et en leur laissant le temps.» Il décrit aussi un collègue qui «se remet constamment en question».

«Professeur sincèrement heureux»

«J’ai beaucoup de chance, l’administration me fait confiance», renchérit Nicolas Gaube, qui souligne aussi la «grande solidarité qu’il y a entre professeurs». Selon son collègue, il en est le principal artisan : «C’est un professeur sincèrement heureux dans son travail. Cette bonne humeur est communicative et se transmet dans le corps enseignant du collège.» Force motrice bien que discrète, Nicolas Gaube a su rallier ses homologues derrière ses expérimentations, si bien qu’aujourd’hui près de la moitié de ses camarades enseignants lui a emboîté le pas dans sa quête pédagogique.

Le professeur aux lunettes rectangulaires a décidé de la partager sur sa chaîne Youtube aux presque 15 000 abonnés. Son nom : «Un prof heureux.» Malicieux ? «Oui, même si on n’en parle pas dans les médias, il y a des profs épanouis, sourit-il. On manque de candidats dans les concours du professorat, alors c’est d’autant plus important de montrer que je fais un métier formidable.» Il ajoute, moins enjoué : «Ça ne veut pas dire être heureux à tout prix. C’est un métier difficile, il faut savoir se préserver.»

Les nuits sont courtes pour le professeur vidéaste. «Une vidéo de dix minutes peut prendre vingt-quatre heures de travail.» Mais les recherches sur les sciences cognitives et les sciences de l‘éducation nourrissent la pédagogie de l’enseignant. «A l’inverse, me filmer en cours pour mes vidéos me permet de m’autocritiquer. Très souvent je me dis, là je n’aurais pas dû dire ça comme ça», s’amuse le quadragénaire.

«Grande leçon d’humilité»

Ce sont également les vidéos qui ont permis à Nicolas Gaube de découvrir le Global Teacher Prize. «En 2016, sur ma chaîne anglaise j’avais fait un tour du monde des enseignants, se remémore le professeur. A cette occasion j’ai rencontré deux collègues australiens : Rebecca West et Steven Kolber qui, en 2021, avaient respectivement fini dans le top 10 et le top 50.» En découvrant le parcours de ses deux homologues du bout du monde, le professeur héraultais s’est tout simplement dit : pourquoi pas essayer ? Sans prétention, il dépose alors sa candidature fin mai.

En septembre, Nicolas Gaube apprend qu’il fait partie des cinquante sélectionnés. Sidération. Alors faire partie des dix finalistes ? Joie et fierté ne peuvent qu’exploser. Vite rattrapées par le doute, l’humilité. En quelques clics Nicolas s’est renseigné sur les neuf autres finalistes, tous aux parcours «exemplaires». «Quand on fait partie d’un groupe avec un professeur qui achète de la peinture à tableau noir pour donner cours dans la rue ou un professeur qui partage son amour pour la littérature en plein conflit ukrainien, c’est une grande leçon d’humilité.» Le professeur le sait, il se sent privilégié.

Stressé ? «Evidemment, concède, dans un rire un peu gêné, l’enseignant hésitant encore entre la cravate et le nœud papillon. Mais je suis surtout très impatient de rencontrer mes confrères du monde entier.» Il n’y aura qu’un seul lauréat. «Choix surprenant» car pour Nicolas Gaube, l’éducation et la pédagogie sont un travail d’équipe.

Alors s’il quitte Paris avec le million de dollars, le prof de SVT le partagera. «Quand je vois mes collègues dans le monde, ça interpelle. Forcément il faut les aider.» Le professeur heureux n’oublie pas son collège à Agde. «J’aimerais créer des espaces de bien-être pour les élèves, où ils puissent être écoutés et également assurer le bien-être des enseignants dans mon établissement.» Après tout, il n’est pas le seul professeur qui doit pouvoir se proclamer heureux.