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Interview

Grève des AESH : «Ce métier nécessite plus de compétences que la gentillesse et l’empathie»

En temps partiel imposé, mal payées et en contrat précaire, les accompagnantes d’élèves en situation de handicap font grève mardi 3 octobre, pour réclamer «un salaire digne» et un statut stable, explique Anne Falciola, AESH et syndicaliste CGT.
A la manifestation des accompagnantes Paris, le 19 octobre 2021. (Denis Allard/Libération)
par Margo Bierry
publié le 3 octobre 2023 à 6h00

Mardi 3 octobre, plusieurs syndicats, dont la CGT, FO, la FSU et Sud Education, appellent à la grève des accompagnantes des élèves en situation de handicap (AESH), une profession majoritairement féminine. Elles dénoncent la dégradation de leurs conditions d’exercice, qui s’intensifie depuis le déploiement des Pial, les Pôles inclusifs d’accompagnement localisés, censés répartir les interventions en fonction des besoins des établissements et des élèves. Anne Falciola, AESH en collège dans l’académie de Lyon et membre du pôle AESH Educ’action de la CGT, revendique la création d’un «véritable statut» pour les 130 000 AESH contractuelles, une meilleure définition de leurs missions et une revalorisation salariale, quand le salaire moyen pour un temps partiel souvent imposé est inférieur à 900 euros.

Quelles sont les raisons de votre mobilisation ?

Malheureusement, ce sont toujours les mêmes. Nous souhaitons un véritable statut. Le gouvernement se refuse à la création d’un corps de métier spécialisé pour les AESH et nous sommes toujours contractuelles. Nous demandons une vraie augmentation pour un salaire digne, avec un accès au statut B1 sur la grille salariale des fonctionnaires, que les droits du métier soient appliqués et que des limites soient respectées. Il faut que l’Education nationale change la place donnée aux personnes en situation de handicap à l’école. Le gouvernement est toujours à la traîne, et nous, les AESH, en sommes le reflet. Si on a l’ambition de faire de l’école un lieu accessible à toutes et tous, il faut y mettre les moyens.

Quelles sont les difficultés rencontrées dans l’exercice du métier ?

Nous faisons face à une dégradation des conditions de travail. Avant, nous avions la garantie de travailler au moins un an avec un élève, maintenant nous en avons plusieurs et cela nuit à la qualité de notre travail. Au second degré notamment, où la prise de lien est primordiale avec les adolescents. On doit leur dire régulièrement : «La semaine prochaine, ce ne sera plus moi». On en souffre. Les coordinateurs des Pial ne connaissent pas la fonction d’AESH, qui est devenue complètement déshumanisée. [Le ministre de l’Education nationale] Gabriel Attal veut accélérer le projet de fusion du métier d’AESH avec celui d’assistants d’éducation (AED), sur la base du volontariat, alors qu’ils ont leurs spécificités. Ce n’est pas possible de faire les deux.

Nous rencontrons aussi des difficultés à faire respecter le cadre du métier d’AESH, on nous demande tout et n’importe quoi : surveillance dans la cour à la place des enseignants, assistanat d’enseignants notamment dans le premier degré, tâches administratives… Les directions d’école imposent parfois ces tâches alors que nous sommes là pour les élèves en situation de handicap. Maintenant [depuis la rentrée 2023, ndlr], nous avons la possibilité d’obtenir des CDI après trois ans d’exercice, mais cela ne suffit pas.

Des revalorisations sont entrées en vigueur, tel le versement d’une indemnité de fonction de 1 529 euros brut annuel pour un temps plein. Le ministre a aussi annoncé que les AESH devraient bénéficier d’une «prime exceptionnelle de pouvoir d’achat» en octobre. Comment l’accueillez-vous ?

Cette prime n’est pas une valorisation salariale ! Le versement d’une indemnité de fonction n’en est pas une non plus… L’annonce du financement de 4 800 postes d’AESH supplémentaires en 2024 n’est pas non plus à la hauteur. Il faut que le problème soit traité en profondeur. Si on traitait mieux les AESH, elles resteraient. Il faut donc réfléchir à pourquoi ça ne va pas. Quelles sont les vraies raisons des licenciements pour inaptitude ou des arrêts maladies des professionnelles qui y laissent leur santé. Nous souffrons de manque d’effectifs à cause de l’absence d’attractivité du métier. Avoir toute une carrière au niveau des minima sociaux n’attire pas, peu de gens souhaitent exercer cette profession.

Beaucoup d’AESH pointent aussi un manque de formation avant leur prise de poste…

La création d’un corps de métier implique une formation spécifique en amont [qui n’existe pas actuellement, ndlr]. On ne peut pas demander à n’importe qui d’accompagner du jour au lendemain des élèves handicapés. Cette fonction nécessite plus de compétences que la gentillesse et l’empathie. Il faut être capable de s’imprégner de la pédagogie du professeur, d’où la nécessité d’être stabilisé avec un élève et dans un établissement. Les élèves sont parfois difficiles, ils peuvent taper, mordre… Les enjeux de la présence d’AESH auprès des élèves sont complètement mis de côté. C’est pourquoi nous demandons une formation de deux ans, longue et qualifiante, avec des immersions en école et des stages, qui seraient adaptées au suivi et au parcours scolaire des élèves.

Fin août, le réseau d’associations Unapei publiait une enquête révélant que trois quarts des élèves handicapés de son réseau suivaient moins de 12 heures de cours hebdomadaires. Comment l’expliquer ?

Ces enfants ne sont scolarisés que sur le temps de travail d’AESH. Sur ces 12 heures, combien d’entre elles les accompagne ? L’accompagnement est-il régulier, ou est-ce que le Pial s’en mêle ? Pour les élèves, l’enjeu est d’essayer de rester dans le circuit scolaire. On entend très vite de la part du corps enseignant : «Il n’est pas à sa place». Alors que les élèves ont besoin de nous à leurs côtés pour devenir autonomes et prétendre à un projet professionnel – certains sont accompagnés jusqu’au BTS. Un gros cliché subsiste sur leur manque supposé de capacités, mais on ne leur donne pas la parole pour expliquer comment, eux, vivent leur scolarité.