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Mobilisation

Grève des enseignants, ce jeudi 1er février : les profs s’élèvent contre leurs conditions de travail

A l’appel de tous les syndicats, les enseignants, notamment 40 % des effectifs du primaire, débrayent ce jeudi. Outre les salaires ou les réformes inégalitaires, leur nouvelle ministre, Amélie Oudéa-Castéra, cristallise les tensions.
Lors d’une manifestation des profs le 12 décembre. (Denis Allard/Libération)
publié le 1er février 2024 à 6h37

Salaires, conditions de travail, groupes de niveau, défense de l’école publique… Les raisons de la grève de ce jeudi 1er février dans l’éducation sont plurielles. Fourre-tout, peu claires, ont même considéré certains syndicats, en décembre, lorsque la FSU et les branches éducation de FO, la CGT et SUD avaient appelé à la mobilisation. «Il y avait trop de mots d’ordre à la fois», résume Catherine Nave-Bekhti. Son syndicat, le Sgen-CFDT, a pourtant finalement décidé de se joindre au mouvement. «C’est un appel unitaire, c’est rare. La dernière fois, c’était le 13 janvier 2022 [contre les protocoles sanitaires à l’école face au Covid, ndlr]. C’est assez révélateur du mal dont souffre l’école», abonde Elisabeth Allain-Moreno, du SE-Unsa. Son organisation a elle aussi fini par appeler à la grève.

L’élément qui a fait basculer les réticents ? Amélie Oudéa-Castéra. «La rentrée scolaire a comme l’effet d’un lendemain de fête trop arrosée, poursuit Elisabeth Allain-Moreno, avec l’annonce d’un changement de ministre de l’Education, encore un [le troisième en un an et demi], et toute la polémique qui a suivi avec des propos complètement désastreux.» En dénigrant, dès ses premières prises de parole, l’école publique, dont les dysfonctionnements l’auraient poussée à scolariser ses enfants dans le privé – on sait depuis que c’était faux –, la nouvelle ministre s’est en effet mis les enseignants à dos. «On ne peut pas parler de nous, de nos élèves, de l’école comme ça, c’est une irresponsabilité qu’il faut sanctionner», revendique la secrétaire générale du SE-Unsa. Le mouvement de ce jeudi doit ainsi servir à «exiger du respect pour l’école publique, laïque et ses personnels».

Respect qui passe en priorité par de meilleurs salaires et conditions de travail. «L’école est dans une situation comparable à l’hôpital public. On ne peut pas continuer à nous parler des uniformes et du service national universel quand l’école est en train de s’effondrer», tacle Sophie Vénétitay, du Snes-FSU (majoritaire dans le second degré). Côté rémunérations, l’exécutif considère avoir fait le boulot. Les enseignants en début de carrière gagnent désormais au moins 2 000 euros net par mois et les profs qui souhaitent toucher plus peuvent signer le «pacte», autrement dit s’engager à assurer de nouvelles missions.

40 % de grévistes en primaire

«La promesse présidentielle n’a pas été tenue. Il devait y avoir 10 % d’augmentation pour tout le monde en janvier 2023, c’était 5,5 % en moyenne en septembre 2023. Et l’inflation est toujours importante. On demande 10 % d’augmentation tout de suite et l’ouverture de discussions pour améliorer durablement les rémunérations sur l’ensemble de la carrière», revendique Sophie Vénétitay. «Ils ont axé leurs décisions sur les débuts et pas les milieux et les fins de carrière. Attendre quinze ans pour être à 2 400 euros, ce n’est pas entendable», complète Guislaine David, du Snuipp-FSU (majoritaire dans le premier degré). En ce qui concerne les conditions de travail, «il faut diminuer les effectifs dans les classes, ce qui suppose un plan pluriannuel de recrutement des enseignants. L’objectif est d’arriver à un maximum de 24 élèves en collège, 20 en éducation prioritaire, 28 en lycée», précise Sophie Vénétitay.

Autre revendication majeure : l’abandon des groupes de niveau. Gabriel Attal avait annoncé leur mise en place en français et en mathématiques au collège, imperméable aux critiques et aux travaux des chercheurs. «On sait ce que cette politique éducative qui trie les élèves produit sur l’estime de soi. Et ça va séparer les enfants de milieux populaires, et ceux ayant des troubles de l’apprentissage, dénonce Catherine Nave-Bekhti. C’est une politique qui vise à satisfaire ceux qui veulent que leurs enfants aillent plus vite, plus loin, tout seuls. Les cours d’empathie [nouveauté annoncée par Attal] vont entrer en contradiction avec ce modèle compétitif.»

Outre un rejet «philosophique» de cette réforme, des effets de bord sont déjà constatés par endroits. Chaque année, les collèges se voient remettre une enveloppe d’heures de cours à répartir, afin notamment de dédoubler des classes dans certaines matières, et, «pour mettre en place les groupes de niveau, des établissements suppriment des dédoublements déjà existants, comme en sciences expérimentales (physique-chimie, SVT), ou des options, comme le latin et le grec», les enveloppes n’étant pas extensibles, indique Sophie Vénétitay.

Si le Snuipp-FSU s’est félicité, mardi soir, d’un taux de 40 % de grévistes en primaire – les chiffres pour le secondaire ne sont connus que le jour J –, les syndicats ont conscience des réticences à faire grève. «Perdre une journée de salaire dans un contexte où les rémunérations ont très peu évolué, ça pèse lourd dans les choix. On entend aussi de façon très régulière “on fait grève mais ça ne sert à rien, on ne nous écoute pas”», rapporte Elisabeth Allain-Moreno.

«On n’a pas les armes suffisantes»

La comparaison avec la mobilisation des agriculteurs est forcément douloureuse. «Ils ont été reçus tout de suite, des mesures ont été lâchées en vingt-quatre heures, on a l’impression que toutes les colères ne sont pas légitimes aux yeux de ce gouvernement. Des collègues me disent : est-ce qu’il faut qu’on aille en tracteur rue de Grenelle ?» raconte Sophie Vénétitay. «En tant qu’enseignants, on n’a pas les armes suffisantes pour engager le rapport de force de cette façon», dit Guislaine David.

Pas même en se mobilisant massivement dans le premier degré, les élèves étant trop jeunes pour se garder tout seuls à la maison ? «Beaucoup de collègues ont une loyauté énorme envers leurs élèves. Des modes d’action qui vont pénaliser encore plus les enfants de milieu défavorisé, ça les tiraille énormément», constate Catherine Nave-Bekhti. «Depuis la mise en place du service minimum d’accueil dans le premier degré, où les municipalités ont obligation d’assurer un accueil, ça enlève tout l’impact que peut avoir une mobilisation», note quant à elle Elisabeth Allain-Moreno.

Des enseignants disent leur refus de s’engager dans une grève perlée, considérant qu’à moins d’une action massive et longue, rien ne bougera. Certains prennent pour modèle le Québec, où un mouvement de grève d’un mois a mis les écoles à l’arrêt, en décembre, et permis d’obtenir satisfaction. Si le SE-Unsa ou le Sgen-CFDT ne sont à ce stade pas convaincus par la grève reconductible, le Snes-FSU a déjà commencé à sonder ses adhérents sur cette option. En attendant, juge Sophie Vénétitay, «pour un mouvement fort qui s’inscrit dans la durée, il faut d’abord réussir le 1er février».