La goutte d’eau. Pour Aline (1), professeur d’histoire-géographie de 38 ans dans un collège des Yvelines, le vase a débordé le 8 novembre. En cause, une sortie de l’ancien président Nicolas Sarkozy concernant le rythme de travail des professeurs des écoles : «C’est vingt-quatre heures par semaine, six mois de l’année. Entre les vacances et les week-ends…» Aline hallucine. Que ce soit pour celles et ceux qui exercent en maternelle, en élémentaire ou dans le secondaire, «on ne peut que constater le manque de considération à l’égard de notre métier».
L’enseignante le répète : «Il faut arrêter de taper sur les profs.» Jeudi 5 décembre, elle fera grève. Pour dénoncer le manque de budget dans l’éducation nationale d’abord, mais aussi parce qu’elle ne supporte plus le «manque de considération pour [son] métier». A l’occasion de cette mobilisation, portée par sept organisations syndicales de la fonction publique, un prof sur deux devrait être absent dans les collègues et lycées, selon le Snes-FSU, syndicat du secondaire. Du côté du premier degré, près de 65 % de grévistes sont annoncés par le SnuIPP-FSU.
Décryptage
Objectif : réclamer la suppression des mesures portées par le ministre Guillaume Kasbarian, qui prévoient notamment une augmentation du nombre de jours de carence pour les enseignants en arrêt maladie. Mais aussi, comme depuis des années, appeler à une revalorisation salariale. «Et surtout, on veut dire au gouvernement que le mépris, ça suffit, tacle la secrétaire générale du Snes-FSU, Sophie Vénétitay. On ne peut pas être la variable d’ajustement budgétaire, ni le punching-ball des politiques.»
«Passe le concours et rejoins-nous, si c’est si facile !»
Sophie Vénétitay a l’habitude des petites remarques cinglantes dans son entourage, de personnes qui «répètent sans réfléchir ce qu’elles ont entendu à la télé» : «Dis donc, tu termines le travail tôt» ou encore «Eh ben, tu es tout le temps en vacances»… Elle le sait : certains clichés ont la peau dure. Aline aussi. Désormais, elle a une réponse toute trouvée, qu’elle lâche à chaque fois qu’elle entend ce type de commentaires : «Passe le concours et rejoins-nous, si c’est si facile !»
Tout le monde peut imaginer un professeur faire cours devant une classe. Mais il existe aussi toute une «charge de travail invisible», souligne la secrétaire générale du SnuIPP-FSU, Guislaine David. Aux heures passées devant les élèves s’ajoutent celles dédiées à la correction des copies, à la préparation des leçons ou encore à la participation aux conseils de classe et réunions pédagogiques. Une réalité que «beaucoup ne comprennent pas», déplore Guislaine David. «Quand on voit un joueur de football, tout le monde sait bien qu’il s’entraîne et ne travaille pas que pendant les matchs, insiste la syndicaliste. C’est la même chose pour les enseignants.»
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L’ambition du gouvernement d’augmenter le nombre de jours de carence en cas d’arrêt maladie n’est pas passée non plus. «C’est appuyer sur un point extrêmement sensible : on choisit de servir l’intérêt général, et derrière, nos ministres laissent entendre qu’on profite du système avec notre absentéisme», soupire Sophie Vénétitay. Qui le rappelle : «Les enseignants ne sont pas plus absents que les autres, c’est un mythe.» Selon un rapport daté de 2023 de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, le nombre moyen de jours d’absence pour raison de santé en 2022 est de 11,6 jours pour les enseignants, contre 11,7 pour les employés du secteur privé. Toujours selon ces données, les profs sont même moins absents que les autres agents de la fonction publique.
«Ces gens n’ont jamais été enseignants et ne savent même pas de quoi ils parlent»
«Je travaille toujours pendant les congés pour préparer la rentrée», explique de son côté Juliette (1), professeur de français dans un collège de Seine-Saint-Denis. Face au cliché des «profs qui passent leur temps en vacances», elle cingle : «C’est tout simplement faux. L’épuisement est fréquent dans la profession.» Un constat appuyé par des chiffres issus d’un sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, en 2021 : presque un enseignant sur deux (46 %) déclarait alors avoir déjà été en situation de burn-out dans sa carrière.
Un manque de considération d’autant plus problématique que l’attractivité du métier est en berne. A tel point que le 1er octobre, Michel Barnier avait de nouveau mis sur la table l’idée de faire appel aux professeurs retraités face à la pénurie d’enseignants dans les établissements scolaires. Un projet loin de faire l’unanimité auprès des fonctionnaires, freinés par des conditions de travail jugées indécentes par les organisations syndicales depuis des années.
Malgré la fatigue, Marie (1), 27 ans, s’accroche. La prof d’histoire dans un collège de Seine-Saint-Denis aime son métier. C’est pour le défendre qu’elle fait grève ce jeudi 5 décembre. A ses yeux, le «prof bashing» français est «risible» : «L’écart entre ce que disent nos politiques à la télévision et la réalité du terrain est énorme. Ces gens n’ont jamais été enseignants et ne savent même pas de quoi ils parlent.» Elle choisit alors de s’attarder sur l’essentiel : «Les parents et élèves qui nous expriment leur reconnaissance. Il y en a, et c’est pour eux qu’on est là.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.