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Libération
Reportage

Etablissements scolaires délabrés : à Saint-Denis, les parents d’élèves au soutien des profs en grève

Dans le département de Seine-Saint-Denis, la mobilisation des enseignants lancée le 26 février est soutenue par les parents. Ils dénoncent à l’unisson des établissements en très mauvais état et une pénurie de remplaçants.
Des enseignants protestent contre l'insalubrité des bâtiments scolaire, devant le conseil régional d’Ile-de-France à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), mercredi 6 mars. (Cha Gonzalez/Libération)
par Léo Thiery
publié le 6 mars 2024 à 20h23

Trop grandes pour les petits bancs en bois d’ordinaire réservés aux maternelles pour les séances de motricité, une cinquantaine de personnes ont investi, mardi soir, le préau de l’école Jules-Guesde de Saint-Denis. Une dizaine de professeurs et une quarantaine de parents d’élèves de divers établissements de la ville, réunis pour amplifier le mouvement social lancé dans les élémentaires, collèges et lycées de Seine-Saint-Denis depuis le lundi 26 février, au retour des vacances d’hiver.

Une mobilisation qui devrait rebondir ce jeudi, alors qu’un appel à la grève a de nouveau été lancé et pourrait essaimer dans d’autres départements franciliens. Si le taux de grévistes a sensiblement diminué au fil de la semaine passée, de 15 % à 2 %, selon le rectorat de Créteil, plusieurs établissements d’habitude peu mobilisés ont cette fois pris part au mouvement. Et dans le second degré, près d’un tiers de grévistes ont été enregistrés dans au moins 35 établissements sur 200. Autre fait notable : les parents d’élèves rejoignent les profs.

Des griefs récurrents

Dans le préau, il y a cette mère de famille, qui pourrait «parler des heures des rats, des punaises de lit et des cafards» dans l’internat de sa fille collégienne. Ce professeur des écoles à Jules-Guesde, qui décrit ce montant de porte cassé, tranchant comme une lame de rasoir, qu’il a dû rafistoler lui-même. «Heureusement, soupire-t-il, c’est une collègue qui s’est coupée avant qu’il ne soit réparé, et pas un enfant.» Ou encore cette autre mère d’enfants scolarisés en primaire, qui résume la pensée générale sur l’état du bâti scolaire dans le département au 1,6 million d’habitants : «Le problème, c’est que nos enfants se sont habitués aux fissures, aux fuites d’eau, aux taches sur les murs. A force, on les a habitués au moche. Ils ne racontent même plus ce qu’ils voient dans leur école en rentrant à la maison car c’est devenu normal.»

Parmi les griefs récurrents, celui de l’encadrement : recours accru aux enseignants contractuels, moins expérimentés et moins formés, face aux difficultés de recrutement ; pénurie de remplaçants, contraignant les directeurs et directrices d’écoles à répartir les enfants sans professeur dans les autres classes… Fin novembre, un rapport de Christine Decodts, députée Renaissance du Nord, et Stéphane Peu, son collègue PCF de Seine-Saint-Denis, confirmait le diagnostic : en Seine-Saint-Denis, l’école, «en crise», «peine à tenir la promesse républicaine».

Dans l’agora improvisée mardi soir à Saint-Denis, une professeur s’efforce d’illustrer : «Au cours de sa scolarité, de la maternelle à la terminale, un élève de Seine-Saint-Denis loupe en moyenne une année de cours en raison d’absences non remplacées ou de postes non pourvus.» Mathilde a l’impression que ses deux enfants, scolarisés en CE1 et en moyenne section à Saint-Denis, vivent dans un «autre monde» par rapport aux jeunes Parisiens : «Nos enfants n’ont pas les mêmes chances que ceux qui sont dans la plus mauvaise école du XIXe arrondissement de Paris.»

L’intersyndicale (composée des sections départementales de la CGT Educ’action, de la FSU, SUD éducation et la CNT) a chiffré les besoins du grand «plan d’urgence» qu’elle appelle de ses vœux pour le département : 358 millions d’euros pour permettre la création de 5 000 postes d’enseignants et un peu plus de 3 000 emplois de vie scolaire. Parmi les revendications également, des seuils à 20 élèves par classe et la réfection des établissements vieillissants.

Opération «collège désert»

Nassime, élue sur une liste de parents d’élèves indépendants et mère de deux enfants en CM1 et sixième, appuie : «Soutenir les enseignants, c’est aussi se battre pour l’assurance de l’égalité des chances pour tous nos enfants.» La mèche allumée par l’annonce de la création de groupes de niveaux dans les collèges – mesure unanimement considérée comme stigmatisante et inefficace – a trouvé un carburant idéal sur le terrain. «J’ai assisté à une assemblée générale à Sevran avec plus de 200 personnes, c’est du jamais-vu», intervient un père de famille.

Simon Duteil, père de deux collégiens, professeur au collège Elsa-Triolet de Saint-Denis et syndiqué SUD, évoque le souvenir du mouvement de 1998 : «En deux mois et demi, on avait obtenu 3 000 postes.» Aux actions «classiques» (tractage, assemblées générales, journée de grève), s’ajoutent aussi des modes de mobilisation plus rares. Notamment des opérations «collège désert», comme à Dugny les 4 et 5 mars, ou aux Lilas prévue ce jeudi, au cours desquelles des parents ont refusé d’envoyer leurs enfants en cours, prenant ainsi le relais de la grève des professeurs.

Interpellée la semaine passée par une dizaine de parlementaires de gauche du département, la nouvelle ministre de l’Education, Nicole Belloubet, leur a promis une réponse spécifique. Ce jeudi, elle devrait entendre de nouveau les revendications des profs du 9-3. Ils ont prévu de venir manifester sous les fenêtres du ministère, rue de Grenelle.