Journée mouvementée dans les universités françaises, alors qu’un mouvement grandissant d’étudiants réclame un cessez-le-feu à Gaza. Après plusieurs heures de débats parfois tendus puis d’occupation des locaux, la direction de Sciences-Po Paris a annoncé ce jeudi 2 mai dans la soirée la fermeture de ses principaux locaux à dans la capitale pour la journée de vendredi. «Suite au vote de l’occupation des étudiants, les bâtiments du 25, 27, 30, rue Saint-Guillaume et du 56, rue des Saints-Pères, resteront fermés demain, vendredi 3 mai. Nous invitons à rester en télétravail», indique un message aux salariés, envoyé jeudi soir par la direction des Ressources humaines de Sciences Po.
En début de journée, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, avait appelé les présidents d’universités à agir contre ces mobilisations étudiantes. «Je vous demande d’utiliser l’étendue la plus complète des pouvoirs que vous confère le Code de l’éducation», a-t-elle réclamé, en dépit des interventions policières ayant déjà eu lieu dans plusieurs établissements. «Les présidentes et les présidents sont responsables du maintien de l’ordre dans l’enceinte universitaire. Et la police ne peut y entrer que sur réquisition de l’autorité universitaire», soulignait Sylvie Retailleau.
«Garantir» la «pluralité des expressions»
L’ancienne présidente de l’université Paris-Sud (devenue depuis Paris-Saclay) a rappelé aux directions qu’elles peuvent aussi prononcer une «interdiction temporaire d’accès de l’établissement» à un étudiant qui en menacerait un autre. Et leur a demandé en outre de «garantir» la «pluralité des expressions» au sein des universités et de «renforcer [leurs] dispositifs pour permettre à tous les débats de se tenir dans [les] établissements, dans le respect de la loi, naturellement, mais aussi des personnes et des idées».
Par ailleurs, alors que des étudiants mobilisés remettent en question des partenariats entre leurs universités et des établissements israéliens, la ministre a affirmé qu’il est «hors de question que les universités prennent une position institutionnelle en faveur de telle ou telle revendication dans le conflit en cours au Proche-Orient».
Analyse
Premier syndicat dans les facs françaises, l’Union étudiante avait appelé samedi dernier les étudiants «partout en France […] à se soulever contre la répression et pour la paix à Gaza». Un débat interne sur la situation à Gaza s’est tenu ce jeudi matin à Sciences-Po Paris, où la contestation a émergé la semaine dernière avant d’être visée par une intervention des CRS. Au terme de cet échange, concession faite par la direction aux étudiants protestataires qui avaient effectué une nouvelle tentative de blocage le 26 avril, l’administrateur provisoire de l’établissement, Jean Bassères, a évoqué «un débat dur, avec des prises de position assez claires, beaucoup d’émotion». «J’ai refusé très clairement la création d’un groupe de travail proposé par certains étudiants pour investiguer nos relations avec des universités et des entreprises israéliennes», a-t-il notamment annoncé. Il a aussi regretté la décision de la présidente de l’Île-de-France, Valérie Pécresse, de couper les financements régionaux à l’établissement, espérant que celle-ci pourrait encore être «débattue».
Des grèves de la faim
En réaction à la prise de parole de Jean Basseres, des étudiants ont décidé d’investir le hall de leur bâtiment historique et d’y faire un sit-in dans l’après-midi. Une assemblée générale s’est tenue en fin d’après-midi pour que les manifestants déterminent leurs futures actions. Selon les informations de Libération, au moins trois étudiants ont entamé une grève de la faim jusqu’à ce que l’administration décide «d’enquêter sur ses partenariats avec les universités israéliennes violant les droits humains» raconte une étudiante proche des grévistes. Ils font des émules.
Reportage
Libé a également pu rentrer en contact avec Lina (prénom modifié), étudiante de 19 ans sur le campus délocalisé de Reims de Sciences Po Paris. Elle affirme vouloir entamer elle aussi une grève de la faim «jusqu’à ce que Sciences Po s’engage à la création d’un groupe de travail et la publication d’un rapport sur les partenariats universitaires et économiques vis-à-vis des violations du droit international et des droits de l’Homme en Palestine». Elle espère être suivie par quelques camarades dans sa démarche.
En milieu d’après-midi, une centaine d’étudiants se sont rassemblés sur la place de la Sorbonne devant l’université, comme une répétition du 29 avril dernier, pour y installer un campement. Après quelques heures, les forces de l’ordre sont arrivées sur les lieux pour déloger les manifestants. A 17 heures, les gendarmes ont entamé une nasse et ont retiré les tentes des pavés.
Manifestation pacifique contre le massacre à Gaza, Place de la Sorbonne à Paris cet après-midi #FreePalestine #FreeGaza pic.twitter.com/iZg2LWVXHy
— 🔗 (@ParisHS_) May 2, 2024
En fin de journée également, une assemblée générale interfacs s’est tenue en région parisienne pour envisager une coordination des contestations. Des actions de blocage sont également prévues dans des Instituts d’études politiques (IEP) ou des antennes de Sciences-Po Paris, notamment à Rennes, Strasbourg ou Menton. A Sciences-Po Paris, une nouvelle occupation du bâtiment principale a été votée en fin de journée. En réaction, la direction de l’établissement a annoncé jeudi soir la fermeture vendredi de ses principaux locaux à Paris.
«C’est l’humanité qu’on assassine»
A Lille, la direction de Sciences-Po avait déjà décidé jeudi de fermer l’établissement, dans un premier temps jusqu’à midi, après une «tentative de blocage» par des étudiants «en partie extérieurs». Les étudiants qui s’étaient mobilisés dès l’aube se sont ensuite rendus à l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) voisine, dont ils ont bloqué les accès, aux cris de «Enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine». «Plus de déontologie sur nos plateaux», «Plus de 100 journalistes morts à Gaza», pouvait-on lire sur des pancartes affichées devant l’établissement, alors qu’une petite cinquantaine de manifestants se tenaient devant les portes verrouillées par des lourdes chaînes.
«Il n’y a pas d’intrusion à l’intérieur de l’école, pas de casse à l’extérieur», a fait savoir le directeur de l’école de journalisme, Pierre Savary, soulignant que ce type d’action est «très rare à l’ESJ». Les cours sont annulés pour l’ensemble de la journée.
Reportage
Parmi les demandes des étudiants, l’annulation d’un master commun de Sciences Po Lille avec l’université de Tel Aviv. «Notre conseil d’administration s’est clairement prononcé contre le boycott des universités israéliennes», a déclaré la direction de Science Po Lille, tout en estimant «légitime que notre communauté puisse exprimer sa solidarité avec les populations victimes de la guerre». Une réunion est prévue ce vendredi pour réfléchir «aux actions à porter au sein de l’école et en lien avec nos partenaires».
Blocage ce matin de l'ESJ Lille en soutien au peuple palestinien par des étudiants de l'école de journalisme, de Sciences Po et des universités lilloises. pic.twitter.com/qgvQwVO1FT
— Florent Moreau (@Flo_Moro) May 2, 2024
Une poignée d’étudiants réclamant un cessez-le-feu à Gaza bloquent aussi les accès d’un bâtiment de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, où les forces de l’ordre sont déjà intervenues mardi. Comme lundi matin, les manifestants ont empilé des poubelles devant les entrées du site, qui abrite le département des études politiques et territoriales, l’antenne de l’IEP de Lyon, et la Saint-Etienne School of Economics.
Après l’intervention de la police, une délégation avait été reçue par le président de l’université, Florent Pigeon, à qui elle avait réclamé de pouvoir organiser une conférence sur la Palestine. Lors de cette rencontre, «nous n’avons pas réussi à trouver un accord», déclare un participant pour expliquer la reprise du blocage.
Mise à jour : jeudi 2 mai à 23h22, la direction de Sciences-Po Paris a décidé la fermeture de ses principaux locaux vendredi.