«Tout ce qu’on nous raconte depuis dix ans n’est pas la réalité», lance Nora Tirane Fraisse. La fondatrice de Marion la main tendue commentait, ce mardi matin, les résultats d’un sondage Ifop (1) sur le harcèlement entre pairs en milieu scolaire commandé par son association, duquel il ressort notamment qu’entre 16 % et 19 % des collégiens et lycéens ont subi du harcèlement scolaire. Précisément, 16 % l’ont vécu plusieurs fois par semaine durant au moins un mois, 19 % si l’on écarte le critère de durée.
«C’est une étude spéciale, qui va beaucoup plus loin que les enquêtes d’opinion et qui permet pour la première fois d’apporter les chiffres qui manquent cruellement à l’opinion publique sur le harcèlement entre pairs. On a des critères stricts, on est très vigilants sur les chiffres qu’on communique», prévient François Legrand, directeur d’études à l’Ifop, alors que l’écart avec les statistiques habituellement communiquées sur le sujet est majeur.
«Le huis clos des internats favorise les situations de harcèlement»
Depuis une dizaine d’années et la prise en compte du harcèlement entre élèves, le chiffre de 10 % est en effet très souvent brandi. Un choix de toute façon arbitraire, les différentes études portant sur le sujet oscillant entre 6 % et 12 % d’élèves victimes. «Dans les enquêtes de victimation [du ministère], la question du harcèlement n’est jamais posée. Cette étude [celle de l’Ifop, ndlr] vient corroborer ce qu’on avait sur le terrain», assure Nora Tirane Fraisse, qui indique avoir justement voulu objectiver ce ressenti.
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Parmi les élèves harcelés, plus de la moitié (53 %) dit avoir subi ces violences au collège, 28 % en primaire, 6 % au lycée et 13 % à plusieurs moments de la scolarité. Le phénomène touche autant les filles que les garçons, mais les premières subissent plus de remarques sur leur tenue et sont davantage la cible de rumeurs. 35 % des élèves handicapés ont subi du harcèlement, contre 14 % chez ceux qui n’ont pas de handicap. «Il va falloir mener une vraie politique de protection des élèves en situation de handicap», plaide Nora Tirane Fraisse. La proportion est de 30 % parmi les adolescents qui vivent en internat, contre 15 % chez les autres. «Le huis clos des internats favorise les situations de harcèlement», résume François Legrand. 22 % des élèves se qualifiant de timides en sont victimes, contre 8 % parmi les autres, et 28 % des roux contre 13 % des bruns.
Le harcèlement se manifeste principalement par des moqueries (91 % des jeunes harcelés), des insultes (89 %) et le fait d’être ignoré, mis de côté (86 %). Il est le fait d’un groupe d’élèves dans 81 % des cas, d’un seul élève dans 25 % des situations. «La personne qui doit en parler d’abord, ce sont les témoins», défend la fondatrice de Marion la main tendue. Les faits se déroulent principalement hors des salles de classe : 94 % dans la cour de récréation, 83 % dans les couloirs, d’où l’importance de former les assistants d’éducation et conseillers principaux d’éducation. Et dans 44 % des cas sur les réseaux sociaux.
Des enseignants pas armés
Tout juste la moitié (51 %) des élèves harcelés en parlent au moment des violences, 33 % quelques mois ou années plus tard, 16 % jamais. Ils se tournent principalement vers leurs parents (81 %), assez peu vers leurs professeurs (16 %). Les trois quarts n’ont pas connaissance du numéro d’aide aux victimes (jusqu’à récemment le 3020, désormais fusionné avec le 3018).
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Les enseignants disent en majorité (65 %) qu’ils ne se sentent pas armés pour prévenir ou gérer une situation de harcèlement. 45 % ne savent d’ailleurs pas si leur établissement fait partie du programme Phare de lutte contre le harcèlement scolaire rendu obligatoire à cette rentrée dans chaque école, collège ou lycée.
Reste un angle mort dans cette enquête : le profil des harceleurs. Sujet qui pourrait faire l’objet d’un futur sondage, mais qui risque de s’avérer périlleux tant le déni en la matière peut être grand.
(1) Etude pour l’association Marion la main tendue et Head & Shoulders menée par l’Ifop, via une triple enquête : une première menée auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 collégiens et lycéens, par questionnaire auto-administré en ligne du 14 au 20 septembre ; la deuxième sur 1 001 parents d’enfants scolarisés au collège et lycée, entre le 13 et le 22 septembre ; la troisième auprès de 200 enseignants du second degré entre le 13 et le 18 septembre.