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Libération
Interview

Emeutes urbaines : «Il faut arrêter de croire que l’enseignement moral et civique est la solution à tous les problèmes de la société»

Mort de Nahel, tué par un tir policier à Nanterredossier
Si le doublement horaire de l’EMC au collège est salué par la secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire-géographie, son intégration dans la réponse du gouvernement aux émeutes urbaines est, pour elle, une mauvaise lecture de cet enseignement.
Un cours d'EMC dans un collège du Rhône, en décembre 2015. (Bruno Amsellem/Divergence)
publié le 26 octobre 2023 à 18h08

Le gouvernement l’a sortie de son placard, époussetée et rempaquetée. L’annonce faite le 22 juin sur France 2 par l’ancien ministre de l’Education Pap Ndiaye du doublement des heures d’enseignement moral et civique (EMC) au collège pour passer à une heure par semaine à la rentrée 2024 vient, ce jeudi 26 octobre, alimenter la «réponse» de l’exécutif aux émeutes urbaines provoquées fin juin par la mort du jeune Nahel, tué par un tir policier à Nanterre. A la Sorbonne, rappelant qu’un émeutier sur cinq «était encore lycéen», Elisabeth Borne a réaffirmé : «L’école c’est aussi la formation des citoyens, c’est pourquoi nous doublerons le nombre d’heures d’EMCau collège.» Si ce renforcement horaire est salué bien que pointé comme trop restreint, son intégration dans ce plan apparaît comme une mauvaise lecture de cet enseignement, déjà ajusté en 2018, estime Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire et de Géographie (APHG).

Le doublement des heures d’EMC au collège est présenté par Elisabeth Borne comme une réponse aux émeutes de juin. Est-ce un levier pertinent à activer dans ce cadre ?

Le cours d’EMC n’est pas conçu comme un élément de prévention et de solution à des émeutes urbaines. Nous ne sommes pas professeurs de morale. On enseigne un certain nombre de notions, de concepts, de principes liés à notre histoire récente, qui sont le soubassement de notre Etat républicain sur le temps long. L’objectif est aussi que les élèves puissent avoir un certain nombre de clés pour comprendre le fonctionnement des institutions, qu’ils puissent se retrouver dans le foisonnement des partis politiques, comprennent les systèmes électoraux, se penchent sur ce qu’est l’Union européenne. On travaille aussi sur l’éducation aux médias. Les élèves sont pris dans cette effervescence d’actualité immédiate permanente et se rendent bien compte qu’un événement en chasse un autre. Nos cours ne peuvent pas être du commentaire permanent de l’actualité parce qu’on a des programmes à suivre mais lorsqu’il y a une demande des élèves comme sur le conflit entre le Hamas et Israël, il faut pouvoir y répondre en leur expliquant qu’on n’a pas toutes les réponses immédiates. Ce dont on a besoin, c’est de temps pour pouvoir entrer dans les choses complexes. L’espace du cours d’EMC doit pouvoir s’adapter à ces besoins d’apport de connaissances et de compréhension de concepts que les élèves nous demandent.

Ce renforcement horaire au collège y répond en partie. N’aurait-il pas fallu y inclure les lycées ?

Le doublement des heures est séduisant mais c’est dommage qu’il ne touche que le collège. Si c’est un chantier de grande ampleur, il faut que les moyens soient mis à tous les niveaux de la scolarité au collège comme au lycée général, technologique et professionnel. Un rabotage des heures d’enseignement général dans lequel se trouvent l’histoire-géographie et l’EMC est à l’œuvre depuis quatre ans en voie professionnelle. Ces élèves passent des diplômes comme les autres, vont être des citoyens comme les autres, et pour eux, c’est systématiquement moins. Ce ne sont ni des sous-lycéens ni des sous-citoyens.

Comment envisagez-vous la mise en place de ce doublement horaire ?

Il ne faut pas que ce soit pris sur les heures d’histoire-géo ou d’autres matières. Il faut qu’elles soient entièrement budgétées. En 18 heures par an, on ne peut pas faire des miracles. Il faut arrêter de croire que l’EMC est la solution à tous les problèmes de la société. Ce n’est pas possible, c’est une mauvaise compréhension de ce que c’est. L’école prend ces problèmes sociétaux de plein fouet car nos élèves viennent de tous les milieux sociaux, sont de toutes les origines, on a des mineurs étrangers isolés alors certains sont dans des situations extrêmement favorisées. L’école ne s’occupe pas de la politique de la ville, des logements sociaux, mais elle ressent l’impact de tout ce qui ne va pas bien pour les enfants et les adolescents.

Est-ce une erreur politique de réintégrer cette annonce dans ce plan ?

Je ne sais pas si c’est la bonne accroche. Une réforme des programmes d’EMC est aussi lancée, on ne sait pas encore bien ce qu’il se prépare. Il faut qu’on puisse garder des programmes souples. Au lycée, on a un thème annuel («la liberté» en seconde, «la société» en première et «la démocratie» en terminale) avec des axes, domaines, objets d’études dans lesquels piocher. Il faut aussi que les élèves puissent faire de la pédagogie de projet, rencontrer des intervenants, visiter des institutions. L’EMC n’est pas uniquement des connaissances qu’on leur apporte, il y a beaucoup d’activités pédagogiques à mener avec eux comme des simulations de débats parlementaires avec l’association Parlons démocratie.

Qu’est-ce que cette refonte des programmes axée autour des «valeurs et principes de la République» incluant notamment la laïcité et l’éducation aux médias peut apporter ?

Ces éléments sont déjà dans les programmes. La laïcité est déjà enseignée en EMC et en histoire tout comme les valeurs et principes de la République. L’éducation aux médias est déjà abordée avec l’appui par exemple du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), mais pour ça il nous faut du temps. On reste assez prudents parce qu’on ne sait pas vraiment ce qui est prévu. Mais le service national universel (SNU) n’est pas une réponse aux émeutes de juin. L’EMC n’est pas un pansement qu’on va mettre à chaque fois que quelque chose ne va pas bien. Ce n’est pas comme ça qu’on travaille. On n’est pas des urgentistes.