«L’année prochaine, j’arrête les maths.» Eva, 15 ans, est catégorique. Cette lycéenne, en classe de seconde à Fougères, en Ille-et-Vilaine, a décidé d’abandonner les cours de mathématiques à partir de la première, comme le permet la dernière réforme du baccalauréat. Depuis 2019, les séries S, ES et L ont été remplacées par un système de tronc commun – duquel sont absentes les mathématiques – complété par trois spécialités en première, puis seulement deux en terminale. Après la réforme, le nombre d’élèves ne faisant pas de maths en terminale a plus que triplé, passant de 13,1% en 2019 à 45,3% en 2021. Et les filles sont plus nombreuses que les garçons à abandonner la discipline.
«C’est vraiment dur, je n’arrive pas à comprendre, j’ai 6 de moyenne en maths, déplore Julie, 15 ans, en seconde près de Rennes (Ille-et-Vilaine). Je ne vais pas me lancer dans quelque chose dont je ne me sens pas capable.» La jeune fille raconte notamment avoir du mal avec «les calculs de nombres irrationnels, comme pi, et les trucs avec cosinus». Noa, elle, assure que la charge de travail personnel est trop importante pour que les élèves ayant déjà des lacunes réussissent. «Si on décide de bien faire tous les exercices, ça prend au moins deux heures le soir», se souvient cette lycéenne en terminale à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), qui n’a plus maths cette année. Beaucoup de jeunes filles délaissent donc la spécialité et ses quatre heures de mathématiques par semaine en première (six en terminale). Faute d’un enseignement de niveau intermédiaire, elles préfèrent abandonner la discipline plutôt que d’y échouer.
«Il ne faut pas trop rêver»
«Si j’avais eu le niveau, peut-être que j’aurais pris cette spécialité, parce que les maths, c’est une garantie de sécurité. C’est bien si je veux me réorienter. Mais là, c’était même pas envisageable, j’allais être complètement perdue», raconte Jeanne, 17 ans, en terminale à Bruz, près de Rennes. L’exigence de la spécialité a aussi découragé Maya, en classe de première à Lannion, dans les Côtes-d’Armor. La jeune fille ne regrette pas d’avoir laissé la discipline derrière elle. «La spé maths, je savais très bien que je n’y arriverais pas. Aujourd’hui, je vois des amies super fortes qui ont pris cette spécialité, et qui galèrent. Elles ont du mal à suivre», relate la jeune fille.
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Parfois, ce sont même les professeurs qui déconseillent à certains élèves de s’engager dans la spécialité. «En seconde, dès décembre, notre prof de maths nous a dit qu’elle avait déjà repéré ceux qui pouvaient aller en spé, que c’est une des spécialités les plus compliquées et qu’il ne fallait pas trop rêver», se remémore Maya. Coline, en première dans un lycée d’Herblay (Val-d’Oise), se souvient, elle aussi, que ses camarades les moins à l’aise étaient loin de recevoir les encouragements de leurs professeurs. «Les maths, c’est quand même important, je trouve ça dommage que des personnes motivées ne puissent pas la choisir, juste parce qu’elles n’ont pas le niveau», confie la jeune fille, qui s’estime chanceuse de ne pas vouloir poursuivre une carrière scientifique.
Parcoursup, exigeant en maths
«Ne plus faire de maths, ça m’inquiète un peu, parce que parfois j’ai certaines idées de métier et maintenant c’est compromis, comme la médecine», soupire Océane, 16 ans, en classe de première à Lannion. Arrêter les maths après la seconde peut en effet être handicapant pour l’orientation post-bac. Coline, en a parlé avec des conseillers d’orientation : «Pour eux, un profil sur Parcoursup avec des maths en première et en terminale est très avantageux parce que c’est la spécialité qui montre le plus la détermination de l’élève», explique la jeune fille.
Mais les conséquences de l’abandon de la discipline se font déjà sentir au lycée. Avoir suivi la spécialité avantage certains élèves, creusant les écarts de niveaux dans certaines matières, comme en sciences économiques et sociales, où les élèves sont par exemple amenés à calculer des moyennes. «J’ai vraiment du mal, j’ai besoin de faire et de refaire pour comprendre des calculs de base», explique Jeanne, en terminale à Bruz. La jeune fille confie se sentir en difficulté dans certaines situations de la vie quotidienne, comme pour calculer ses dépenses ou savoir si elle est gagnante sur un produit en soldes. Même constat pour Noa, la terminale d’Oloron-Sainte-Marie. «Il y a comme une fracture, on voit l’écart de niveau entre ceux qui font la spécialité maths et ceux comme moi qui ont arrêté en première, explique la jeune fille. Je sais que j’aurais dû en avoir beaucoup plus.»