Il y aura donc bien une enquête sur «l’islamo-gauchisme» à l’université. Frédérique Vidal le confirme dans le JDD ce dimanche. Une semaine après le tollé provoqué par ses propos sur CNews sur l’«islamo-gauchisme» qui, selon elle, «gangrène la société dans son ensemble et l’université n’est pas imperméable», la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche confirme son intention de lancer une enquête «au sens sociologique du terme» pour faire «un état des lieux de ce qui se fait en recherche en France sur ces sujets», explique-t-elle au Journal du dimanche.
Cet entretien est également l’occasion pour la ministre de répondre aux critiques dont elle est l’objet depuis une semaine, qui relèvent selon elle d’un «procès d’intention». L’économiste Thomas Piketty dans Libération et une tribune de 600 personnels dépendant de son ministère dans le Monde demandent sa démission. «L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier, puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle», affirme le texte de la tribune.
Mise au pas idéologique
Frédérique Vidal leur donne raison dans son interview. Selon elle, «tout l’enjeu» de l’enquête qu’elle veut lancer est bien de «faire la part des choses entre le travail des scientifiques et ceux qui se servent de ces travaux pour porter une idéologie et nourrir l’activisme». Une mise au pas idéologique donc, le tout sur un fond scientifique très friable.
Car si la ministre reconnaît, comme le CNRS le lui a rappelé, que l’«islamo-gauchisme» n’est pas une réalité scientifique, elle précise ce qu’elle met sous ce terme : «Quand je reprends le terme […], j’ai à l’esprit l’ensemble des radicalités qui traversent notre société.» Plus loin, elle cite également les «études postcoloniales» ou encore «l’intersectionnalité». Ce n’est pas la première fois que Frédérique Vidal cherche à soumettre les recherches scientifiques à son idéologie. La ministre avait, lors des débats sur la loi de programmation de la recherche, donné son accord à un amendement, retiré par la suite, soumettant les libertés académiques aux valeurs républicaines.
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Pour justifier son initiative, Frédérique Vidal se pose en défenseuse des universitaires et des présidents d’universités. «Est-ce que pour autant je dois abandonner les présidents d’université qui demandent de l’aide ? Ne pas entendre les professeurs qui se disent empêchés ? Faire comme s’il n’y avait aucun sujet alors que des universitaires demandent l’appui du ministère ?» demande-t-elle.
Une fois de plus, la ministre a l’oreille sélective. Depuis une semaine, les expressions collectives de la communauté universitaire ne ressemblent pas vraiment à des appels à l’aide. Les présidentes et présidents des instances du Comité national de la recherche scientifique ont condamné «avec la plus grande fermeté ces déclarations qui vont à l’encontre du principe constitutionnel de garantie des libertés académiques». La Conférence des présidents d’université «regrette donc la confusion entre ce qui relève de la liberté académique, la liberté de recherche dont l’évaluation par les pairs est garante, et ce qui relève d’éventuelles fautes ou d’infractions, qui font l’objet si nécessaire d’enquêtes administratives (par l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) ou d’enquêtes pénales». Enfin, la commission permanente de la Commission nationale des universités considère qu’on «ne peut pas à la fois défendre les libertés académiques et ordonner une commission d’enquête jugeant si les libertés utilisées sont les bonnes ou non». Peu d’appels à l’aide dans ces prises de position, mais la ministre entend qui elle veut.
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Le débat rebondit politiquement. Selon le JDD, les députés LR ont demandé au président de l’Assemblée nationale de réexaminer leur proposition datant de novembre d’une commission d’enquête sur le sujet. Pour le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, l’«islamo-gauchisme» est un «fait social indubitable» qu’il faut «regarder en face». Pendant ce temps-là, la détresse des étudiants passe au second plan.