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Education nationale

La formation continue des enseignants hors temps de classe, «une machine à démotiver»

L’objectif annoncé l’an dernier par le ministère de l’Education nationale de réaliser 100% de la formation continue des enseignants le soir, le week-end ou durant les vacances pour ne pas empiéter sur le temps devant les élèves n’est pas atteint, et la mesure continue d’être contestée par les enseignants.
Les syndicats enseignants contestent la formation continue hors temps de classe au nom de l’alourdissement de la charge de travail qu’elle entraîne. (Andbz/ABACA)
par Erwin Canard
publié le 22 novembre 2024 à 15h00

Comment abaisser le nombre d’heures de cours perdues par les élèves ? En limitant les absences des enseignants, répondait Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, en août 2023. Et d’annoncer l’objectif que 100% de la formation continue des professeurs se déroulent «hors du temps devant élèves dès la rentrée 2024» puisque, poursuivait-il, «sur les 15 millions d’heures perdues, la moitié l’est en raison de formalités administratives», telles que des formations et des réunions. De l’aveu de sa successeure, Anne Genetet, l’objectif n’est pas atteint : la ministre a indiqué, le 17 novembre, que 70% de la formation continue se déroule hors temps de «face-à-face pédagogique». Contacté par Libération, le ministère maintient l’objectif de 100% pour le courant de l’année 2024-2025.

Les syndicats contestent cette mesure au nom de l’alourdissement de la charge de travail qu’elle entraîne. Contrairement à ce qu’a récemment déclaré Nicolas Sarkozy – que les enseignants «travaillent vingt-quatre heures par semaine, six mois par an» – une étude du service statistique du ministère de l’Education nationale a établi, en 2022, que la moitié d’entre eux travaillent au moins 43 heures par semaine. Or, placer la formation continue hors du temps de classe induit de la programmer le soir, le mercredi après-midi, le week-end ou pendant les vacances (dans ce dernier cas, elle donne droit à des rémunérations supplémentaires). «C’est le symbole de la méconnaissance totale de nos conditions de travail, comme si on n’avait pas déjà beaucoup à faire hors du temps de classe, de préparation, de correction…» s’insurge Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Et d’enchaîner : «Je ne sais pas s’il y a d’autres professions à qui l’on demande de se former à 19 heures.»

L’augmentation du nombre de formations en visio, autre élément de la réforme, est un «dévoiement de la formation, continue la professeure de SES. C’est extrêmement descendant, sans échange, alors que l’échange entre pairs est l’essence même de la formation». Autant de facteurs qui font de cette réforme une «machine à démotiver», regrette Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT éducation – même si le ministère assure que le nombre d’heures de formations suivies a augmenté l’an dernier.

«Je démissionnerai de ma fonction de formateur»

L’éducation nationale reste à la traîne par rapport aux autres administrations : selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique, paru le 15 novembre, un agent de l’éducation nationale a suivi en moyenne 1,9 jour de formation en 2022 contre… 9,1 en moyenne pour ceux des autres ministères. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Dans un rapport de septembre 2023, la Cour des comptes observe des «ambitions limitées» de l’institution, «des difficultés d’organisation», une «qualité des formations inégale» et un «recueil des besoins perfectible». De son côté, le Sénat, en juillet 2023, juge la formation continue «insuffisante», «déconnectée», «peu lisible», et regrette que les crédits budgétaires dédiés à la formation continue soient «structurellement sous-exécutés».

Aussi, depuis un an, des formateurs quittent leur fonction – contactés, ni le ministère ni les écoles académiques de formation ne nous ont répondu à ce sujet. Enseignante de lettres, Françoise Cahen a démissionné de son rôle de formatrice, qu’elle occupait depuis une dizaine d’années, en raison de cette réforme. «C’est un choix scandaleux, notamment car la recherche a documenté le fait que, lorsqu’on place les formations sur le temps du soir ou du week-end, les femmes se forment moins que les hommes», explique-t-elle. Arnaud Holzmann, professeur de SVT et formateur depuis trois ans (et militant au Snes-FSU), n’a pas démissionné mais a «refusé d’animer des formations hors temps de classe». Il continue de programmer des formations sur le temps scolaire, mais prévient : «Si le rectorat m’impose des formations pendant les vacances, je démissionnerai de ma fonction de formateur.» Le ministère annonce à Libération que «des revalorisations sont envisagées pour 2025 pour les formateurs afin de rendre cette fonction plus attractive».

«On demande de plus en plus de choses à l’école»

Placer la formation hors temps de classe pour diminuer les absences des enseignants est un prétexte, pour Françoise Cahen : «Cela fait partie de ce contexte où on nous attaque de toute part, comme récemment sur les jours de carence. Ne pas avoir son prof d’anglais deux jours dans l’année, ce n’est pas le gros souci des élèves. Le vrai problème, c’est le prof absent plusieurs mois et qui n’est pas remplacé.» Sophie Vénétitay ajoute : «Quand on se forme, c’est pour revenir meilleur devant nos élèves. Alors oui, on n’est pas devant les élèves une demi-journée, mais on reviendra plus riches dans nos pratiques, et donc pour nos élèves.» Le ministère affirme que la mesure a permis «de réduire de près d’un million le nombre d’heures d’absences au titre de la formation». «C’est aussi que, désormais, si l’enseignant n’est pas remplacé, on ne l’autorise plus à partir en formation», nuance Catherine Nave-Bekhti. Pour elle comme pour l’ensemble des syndicats, le recrutement d’enseignants remplaçants est nécessaire pour permettre aux professeurs de partir davantage en formation.

Un besoin de plus en plus urgent, relève Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU : «On demande de plus en plus de choses à l’école, qui nécessitent de former les professeurs, que ce soit sur les violences subies par les enfants, le harcèlement, l’inclusion, la laïcité…» Les changements de programmes – fréquents – induisent aussi des formations, à l’instar des futurs programmes de mathématiques et de français annoncés dans le cadre de «l’acte 2 du choc des savoirs». Puis, alerte Françoise Cahen, «il y a des concepts nouveaux qui arrivent, comme l’IA. Sans formation, c’est dangereux».