«Je lance la bataille pour le niveau de notre école.» A l’occasion de la journée mondiale des enseignants, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, a annoncé ce jeudi le lancement d’une mission «Exigence des savoirs», qui doit viser à améliorer les performances des élèves en français et en mathématiques. Deux matières «qui rendent possibles toutes les autres», a-t-il déclaré depuis le parvis de la bibliothèque François-Mitterrand, à Paris. «Comment apprendre correctement l’histoire si on ne maîtrise pas la lecture et l’écriture ?» a interrogé le ministre.
«Elever le niveau, c’est l’urgence de notre école, a-t-il poursuivi. Entre 1995 et 2018, les élèves français ont perdu l’équivalent d’un an en termes de niveau. Un élève de 4e en 2018 avait le niveau d’un élève de 5e en 1995», ce alors que la France est l’un des pays de l’OCDE qui consacrent le plus d’heures d’enseignement à ce qu’on appelle les savoirs fondamentaux. «Il va falloir qu’on se mette d’accord sur la définition de ce que sont les savoirs fondamentaux, qu’on sache ce que sont les priorités, parce que l’école ne peut pas tout faire», réagit Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-Unsa, alors que l’on demande également aux enseignants de mettre le paquet sur la lutte contre le harcèlement, l’égalité filles-garçons, l’environnement, l’éducation aux médias…
«Je ne veux aucun tabou»
Pour mener à bien la mission Exigence des savoirs, trois groupes de travail seront constitués, l’un sur l’école primaire, l’autre sur le collège, le dernier sur le lycée. Chacun sera composé de deux professeurs «car ils connaissent mieux que quiconque les réalités de terrain», d’un recteur, d’un inspecteur d’académie et d’un inspecteur de l’éducation nationale. Le tout sera chapeauté par Edouard Geffray, le directeur général de l’enseignement scolaire (sorte de ministre de l’Education bis), Caroline Pascal, la doyenne de l’inspection générale, Stanislas Dehaene, le président du conseil scientifique de l’éducation nationale, et Gilles Halbout, le recteur de l’académie d’Orléans-Tours.
L’ensemble des professeurs de France sera par ailleurs invité, à partir de la semaine prochaine, à donner son avis via un questionnaire, dont les réponses alimenteront le travail de la commission. Laquelle devra présenter ses préconisations dans huit semaines, début décembre, pour une «première mise en œuvre» en septembre 2024.
«Tout est sur la table, je ne veux aucun tabou, aucun débat n’est tranché d’avance», a assuré Gabriel Attal, avant de dérouler les pistes ayant sa préférence. Comme la fin des cycles pédagogiques qui rythment actuellement la scolarité (le cycle 1 correspond à la maternelle, le cycle 2 va du CP au CE2, etc.), le ministre suggérant de «revenir à un séquençage par année et par classe». Ce qui ne satisfait pas les syndicats : «La politique de cycles est plus souple, rétorque Guislaine David, porte-parole du Snuipp-FSU. En gros, si un élève a des lacunes à la fin du CP, ce n’est pas grave, c’est l’idée que chaque enfant a le droit de progresser à son propre rythme.» L’organisation par cycles «n’aura jamais fait l’objet de bilan, comme souvent dans l’éducation nationale, déplore pour sa part Elisabeth Allain-Moreno. On risque de perdre le travail d’équipe [entre les enseignants des différents niveaux d’un même cycle, ndlr] qui avait tout son intérêt parce qu’il permettait de s’adapter à chaque élève».
Cours de culture générale
Le ministre souhaite par ailleurs «faire du cousu main» et plaide pour une organisation du collège «plus modulaire, par groupes de compétences ou de niveaux» en français et en mathématiques. «Garder dans une même classe des élèves qui ont un tel écart dans les connaissances, est-ce que, véritablement, c’est rendre service aux élèves et aux professeurs ? Est-ce que ça ne conduit pas à tirer tout le monde vers le bas ?» a-t-il interrogé, se défendant ensuite de vouloir mettre fin au collège unique. «Ce n’est pas nouveau qu’il y ait des groupes de niveau, mais c’est fait à chaque fois dans un objectif bien précis, ce n’est pas une fin en soi, réagit Elisabeth Allain-Moreno. On ne peut pas séparer les élèves par niveaux et ensuite dire qu’on va tout faire pour qu’ils puissent avoir un avenir similaire dès la 6e.»
Gabriel Attal s’est également prononcé en faveur d’une refonte des programmes, dans lesquels il souhaite notamment voir intégrés des cours de culture générale. De quoi raviver de mauvais souvenirs sur le terrain. «A son arrivée, Jean-Michel Blanquer a fait fi des programmes et a mis en place des guides sur la lecture, la grammaire, le vocabulaire… qui sont devenus la seule orientation possible, celle sur laquelle s’appuient les inspections en classe. Les enseignants sont forcés de les lire alors qu’ils ne représentent qu’une vision des apprentissages et celle de Jean-Michel Blanquer correspond à un apprentissage mécanique, basé sur le décodage, et pas sur la compréhension des choses», rappelle Guislaine David.
Enfin, Gabriel Attal a indiqué vouloir lutter contre une «hétérogénéité des manuels», qui entraîne «une rupture d’égalité entre les classes et les élèves» dans le premier degré. Et de prendre comme modèle Mayotte, où la mise en place d’«un manuel standardisé» a permis de constater «des résultats spectaculaires en un an».
Face à ce discours prônant amélioration du niveau et différenciation des enseignements, Elisabeth Allain-Moreno regrette : «A aucun moment on n’a parlé des moyens que l’institution pouvait donner aux personnels pour prendre en compte la diversité des élèves.»