Quatre petits mois seulement. Voilà le temps qu’il faut pour qu’un écart entre les filles et les garçons soit constaté à l’école primaire en mathématiques, selon une vaste étude portant sur trois millions d’écoliers français et publiée dans Nature ce mercredi 11 juin. Et ce, alors que toutes les études internationales s’accordent sur le fait que filles et garçons ont le même sens des nombres avant d’entrer à l’école.
En France, on savait déjà que l’écart de genre en maths et sciences à la fin du primaire était le plus fort des pays de l’UE. Et que, par un effet boule de neige, il ne faisait que s’accentuer jusqu’aux études supérieures. L’étude présentée ce mercredi dans Nature permet d’affiner encore l’évolution de l’écart par rapport à l’âge en se fondant sur un jeu de données «exceptionnellement grand», tiré d’EvalAide, un dispositif d’évaluation piloté par le Conseil scientifique de l’éducation nationale. «Pour la première fois, on mesure cet écart de manière très précise : dès la première exposition à l’école élémentaire, après seulement quatre mois d’école, et sur près de trois millions d’enfants», détaille la médecin et docteure en neurosciences Pauline Martinot, autrice principale de l’étude.
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Lancé en 2018, EvalAide teste en mathématiques et français tous les entrants en école élémentaire : au début du CP, quatre mois plus tard et l’année suivante à l’entrée au CE1. Grâce aux données analysées par l’étude, on apprend que, si les filles et les garçons présentent des résultats «quasi identiques» aux tests de maths à l’entrée en CP, un «écart petit mais déjà hautement significatif favorise les garçons» après quatre mois d’école. Après un an, on compte plus du double de garçons que de filles parmi les 5 % des meilleurs élèves aux tests de maths. Le «phénomène couvre toutes les strates de la société, indépendamment du type d’école et de son genre de pédagogie, la situation des parents, la composition familiale, l’environnement scolaire et la localisation géographique».
Anxiété et rôle de l’enseignant
Difficile, même avec ces données, d’identifier la cause de cet écart de genre. Pour les auteurs de l’étude, l’hypothèse de «différences fondamentales d’aptitudes en fonction du genre» ne tient évidemment pas la route. Les filles pourraient en revanche souffrir d’une plus grande «anxiété» face aux mathématiques, surtout dans le contexte «compétitif» d’un test. «Lorsqu’un test est stressant, l’anxiété des petites filles en maths leur fait perdre leurs moyens par rapport aux garçons», remarque Pauline Martinot.
Ce stress s’intensifie d’autant plus que les opérations de numération sont désignées comme des «maths» à partir du CP. Un caractère formel susceptible d’inhiber les filles. Les exercices pourraient être «pensés autrement, en réalisant bien plus de jeux autour de la discipline avant le CP», avance Pauline Martinot.
La dissémination de biais de genres par les parents pourrait aussi jouer un rôle, selon l’étude, au moment de l’entrée dans la vie scolaire. L’investissement plus grand des parents de catégories sociales aisées expliquerait ainsi l’apparition d’un plus grand écart de genre chez leur progéniture. Comme dans les familles dont les deux parents ont des métiers scientifiques ou dans l’enseignement.
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Quelles solutions alors pour éviter que l’écart ne se crée ? L’étude écarte, sur la foi de ses données, des solutions portant sur la taille des classes, le ratio garçons-filles ou l’hétérogénéité de niveaux. Ses auteurs encouragent plutôt un effort de formation des enseignants, pour qu’ils accordent autant d’attention aux filles qu’aux garçons autour des maths. Ils doivent aussi être mieux formés à cette discipline, pour «accroître leur confiance en soi et leur intérêt» dans la matière.
Pauline Martinot évoque un biais lié au fait que «plus de 80 % des instituteurs sont des femmes», dont une majorité issue d’un parcours littéraire. Or, «une anxiété mesurée chez les enseignants femmes en maths sera directement corrélée à une anxiété en maths de petites filles de leur classe».