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Place à Demain: focus

Médias : oui, les ados s’informent aussi

Place à Demaindossier
La nouvelle génération n’a rien de décérébrée. Elle a simplement des habitudes différentes.
(Elodie Lascar/Libération)
publié le 25 janvier 2024 à 23h56

Pas de panique, les enfants et les ados ne débranchent pas leurs cerveaux devant les écrans. Leur intelligence n’est pas menacée. Mieux encore, ils sont tout à fait capables de s’informer le nez collé à leurs portables. «Les jeunes ne sont pas des crétins digitaux», tranche Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine, en référence au livre best-seller du neuroscientifique Pierre Desmurget, pour qui les écrans abrutissent les jeunes. Un discours alarmiste qui inquiète jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Le 16 janvier, Emmanuel Macron a déclaré vouloir réguler l’accès des mineurs aux écrans, en envisageant même «des interdictions» et «des restrictions».

En réalité, «les jeunes s’informent sur les écrans, beaucoup plus qu’on ne le dit, sur des sujets bien plus variés qu’on ne le croit et beaucoup plus sur l’actualité, au sens général du terme, qu’on ne veut l’entendre», rassure Anne Cordier. Se focaliser sur leur temps d’écran n’a aucun sens si on ne s’intéresse pas à ce que les jeunes en font, estime la chercheuse qui en connaît un rayon sur le sujet. Cela fait des années qu’elle étudie leurs usages numériques, en les interrogeant de leur enfance à l’âge adulte. D’abord, «il faut cesser de plaquer nos représentations d’adultes sur ce que sont leurs pratiques d’information, qui sont riches, quotidiennes et beaucoup plus larges que celles qu’on entend». Les jeunes répondent souvent qu’ils ne s’informent pas, simplement parce qu’ils se sentent jugés sur ce qui les intéresse. Comme si seule l’actualité nationale et internationale était digne d’intérêt. Or, chercher à savoir comment nourrir sa tortue ou faire des constructions Lego sont des sujets très sérieux quand on a neuf ans, rappelle Anne Cordier. «Il y a souvent une bascule à partir de la quatrième avec la projection vers le lycée et l’âge adulte. Là, on s’informe sur l’actualité parce qu’il le faut. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas par plaisir mais ils ont cette mauvaise conscience de ne pas s’informer assez», rapporte Anne Cordier. Au lycée, nouvelle étape, «on s’informe surtout pour prendre position, pour pouvoir échanger avec les autres».

Sans surprise, les jeunes s’informent d’abord sur leurs portables. 70 % des 15-34 ans utilisent quotidiennement les réseaux sociaux pour s’informer – Instagram, TikTok et Snapchat (au collège) en tête de gondole – selon Médiamétrie. «Ils s’informent sur des supports différents de leurs aînés, via les réseaux sociaux, avec un sens de la hiérarchisation des informations. Mais ils utilisent aussi des médias traditionnels liés aux pratiques générationnelles de leurs parents», éclaire Serge Barbet, directeur du centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clemi).

Le repas du soir devant le JT du 20 heures reste effectivement un rituel très partagé dans de nombreuses familles, notamment dans les milieux populaires. «Les jeunes trouvent ce moment important parce que c’est un moment de partage, de sociabilisation familiale», précise Anne Cordier. C’est ce que décrit Rémi, en terminale dans un lycée à Libourne (Gironde). Avec ses parents, il dîne chaque soir devant BFM ou l’émission Touche pas à mon poste. «Je ne valide pas ce qu’ils regardent mais ce moment me plaît parce qu’on a des discussions animées et j’aime bien débattre avec eux», explique-t-il.

Rémi a aussi ses petites habitudes pour s’informer sur les réseaux sociaux, loin du regard de ses parents. Dès son réveil, il ouvre Instagram et Twitter «pour voir ce qu’il s’y passe, parce que j’aime être au courant du monde qui m’entoure et c’est mieux de connaître les sujets pour en parler avec les autres». «Les jeunes partagent ces moments avec leurs pairs pour discuter des cinq actus d’Hugo décrypte [une référence chez les ados, encore plus depuis son interview du président en septembre dernier ndlr], de la vidéo du jour de Docteur Nozman, d’une grosse info relayée dans les médias…», décrypte Anne Cordier. Louise, 16 ans, dit se tenir «au courant de ce qui se passe» sur les réseaux sociaux «parce que je vois direct quand un film ou un morceau prend de l’ampleur, vu que ça remonte dans mon fil d’actu», explique-t-elle. Et quand elle a une recherche précise à faire, elle regarde notamment sur le canal TikTok : «Ça me met plein de comptes associés à ma recherche, avec des vidéos par exemple. C’est comme ça que j’ai mieux compris ce qu’est le mouvement LGBT.»

Contrairement à un autre préjugé, les jeunes ne sont pas plus soumis aux fake news que les autres. «Ce sont les plus de 50 ans qui sont plus poreux aux fausses informations», rappelle Serge Barbet. Les jeunes ont plutôt tendance à douter, parfois trop même. «On a pris l’habitude de leur présenter l’info comme quelque chose de dangereux, comme s’il fallait se méfier de tout, regrette Anne Cordier. Il faut au contraire leur donner envie de s’informer et d’entrer en résonance avec leurs expériences informationnelles quotidiennes, qui sont joyeuses et partagées.»