Sous une pluie fine mais persistante, Fabrice compte ses journées de mobilisation. «En deux semaines, c’est le deuxième barrage. Il y a déjà eu trois jours de grève et deux opérations école déserte.» Au rond-point du stade Marcel-Saupin, quartier de Malakoff à Nantes, il fait partie de la quinzaine de professeurs et de parents d’élèves opposés à la réforme du «choc des savoirs» qui se sont rejoints ce matin pour un barrage filtrant. Au croisement, les voitures s’arrêtent un instant devant la petite barricade, palettes de fortune et pancarte bricolée où l’on peut lire : «Si les enseignants font la grève, c’est pour les enfants. Signé : les parents.» Les fenêtres s’ouvrent, parfois de quelques centimètres seulement, un bras surgit, récupère le tract, puis la plupart des automobilistes lancent un «bon courage» avant de poursuivre leur route.
«Pas de tri social»
Enseignant d’histoire-géo dans le collège voisin et REP + Sophie-Germain, Fabrice, vingt-cinq ans d’ancienneté, suit la mobilisation depuis le début, foncièrement opposé à la réforme qui se profile. Il détaille : «J’ai en charge une classe européenne et je ne sais pas si je pourrais continuer. […] Ce qui est sûr, c’est que les emplois du temps vont être bousculés. Créer des groupes en maths et français va absorber les moyens dont nous disposons. En REP + nous avons pas mal d’heures à disposition. Pourtant, nous allons devoir annuler les dispositifs d’accompagnements personnalisés mis en place et puiser dedans.» Au-delà de la constitution de groupes se profile selon lui la question de l’autonomie ainsi que celle d’une école publique à plusieurs vitesses.
Reportage
«On parle de marge de manœuvre laissée aux établissements mais les moyens diminuent et c’est en fait à chaque établissement de trouver des solutions pour gérer la misère !» A quelques pas de lui, Annabel Cattoni, cosecrétaire départementale de la FSU-SNUipp, est professeure en école primaire. Elle dénonce pour sa part les évaluations nationales qui se généralisent dans les classes d’élémentaire, cette culture du résultat où l’«on entraîne les élèves à être notés dès le plus jeune âge. […] Notre métier c’est de s’adapter aux élèves, pas de faire du tri social».
A ses côtés, Nathalie est justement parent d’élève. Depuis deux semaines, elle est aussi très mobilisée : «Il faut absolument que les parents viennent à l’appui des professeurs, sinon, ça ne marchera pas.» Dans le département, les parents d’élèves se sont organisés afin de soutenir le mouvement. «Quand nous avons créé notre groupe WhatsApp de parents d’élèves, nous étions vingt. Deux semaines plus tard, nous sommes 2 000.» Jeudi dernier, l’opération «Ecoles désertes» a été particulièrement suivie. Le collège Victor-Hugo, dans le centre de Nantes, a par exemple recensé un taux d’absentéisme des élèves à plus de 90 %. Car pour les professeurs, comme pour les parents, beaucoup de questions demeurent quant à l’application de la réforme. «Il y a plein de choses que je ne comprends pas, s’agace ainsi Sandra, parent d’élève également, alors que le barrage se dissout. Comment vont être organisés les groupes ? Pourquoi le privé n’est pas tenu de l’appliquer ?»
«Cette année, c’était dur»
Quelques heures plus tard, à midi, les enseignants se sont donné rendez-vous dans le centre de Nantes, à la croisée des trams, pour une nouvelle manifestation. Institutrice en primaire, Lola est arrivée avec ses collègues de la ville voisine de Sainte-Luce-sur-Loire. Faisant allusion à la constitution de groupes au sein des classes, elle confie : «Clairement, nous n’avons pas choisi de devenir professeur pour contribuer à ce type de société.» Aujourd’hui, la majorité du personnel enseignant de son école est venue. «Nous sommes douze sur seize. Cette année, c’est très dur, justifie-t-elle. Nous devons affronter beaucoup de violences de la part des élèves, des parents. Sans parler du manque d’AESH [ces accompagnants d’élèves en situation de handicap, ndlr] et des moyens qui diminuent.» Non loin de là, dans le cortège d’un millier de personnes environ, la banderole du collège rural Camille-Lepage à Varades réunit un petit groupe. «A la rentrée 2024, nous aurons 40 élèves en plus et une classe en moins. Nous serons 30 élèves par classe ! Comment allons-nous organiser des groupes avec ça ?» s’insurge un des profs présents. Quelques minutes plus tard, la manifestation s’arrête un court moment devant le lycée privé Stanislas, avant de repartir vers son point de départ. «On veut du fric pour l’école publique», scande la foule. Tout un symbole.