Ils ont accroché une longue banderole à la grille verte de l’établissement sur laquelle on peut lire «pour Gérard-Philipe en Rep +, des moyens pour nos élèves et nos conditions de travail». Sous la fresque représentant l’homme de théâtre qui donne son nom au collège qu’elle orne à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), une cinquantaine d’enseignants et de membres du personnel manifestent. Des parents d’élèves les ont rejoints. Le collège Gérard-Philipe connaît une mobilisation rare. Lundi 26 mai, plus de 90 % des enseignants étaient en grève. Ce mardi, ils sont encore 80 %. Avec un fort soutien des parents.
«Nous tenons le bateau, mais nous ne pourrons pas le faire éternellement, alerte Frédéric Campguilhem, secrétaire académique de la CGT Educ’action. Nous demandons simplement des moyens à la hauteur de nos réalités. Notre collège correspond à tous les critères sociaux pour bénéficier du classement en REP (Réseau d’éducation prioritaire) +.»
Coincé entre le musée Roger-Quilliot et les infrastructures sportives de l’ASM, le club de rugby qui fait la fierté locale, le collège Gérard-Philipe se situe dans un quartier à l’urbanisme disparate : HLM, anciennes cités Michelin, rien de bien homogène. L’établissement n’est ni au cœur du quartier de Montferrand, ni véritablement en périphérie de la ville. Mais avec un Indice de position sociale (IPS) de 70,5 en 2023 et 71,4 cette année, Gérard-Philipe est l’établissement hors REP le plus défavorisé de France.
«Un mal-être profond»
«En France, nous sommes les plus bas, mais nous ne sommes pas les seuls : 16 établissements ont un IPS en dessous de 80 sans être en REP +», s’indigne Frédéric Campguilhem. L’IPS est calculé par l’Education nationale à partir de la profession et du niveau d’études des parents : plus il est bas, plus la population scolaire est en grande difficulté sociale.
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Avec 452 élèves pour 44 enseignants, les tensions sont palpables. «Je siège dans les conseils de classe, les commissions éducatives… et je ressens une sollicitation constante, bien plus forte que les années précédentes. C’est révélateur d’un mal-être profond. Nous avons le sentiment de ne pas toujours pouvoir apporter aux élèves ce dont ils ont besoin. Nous tenons bon, inlassablement, mais nous avons l’impression de ne pas être écoutés», détaille Agnès Drago, enseignante.
Les faits graves se multiplient, confie Frédéric Campguilhem. «En avril, on en était à 23 signalements, dont une agression physique de collègue, des violences entre élèves, des insultes. Des collègues sortent en larmes des cours. Cette année, nous avons déjà 17 conseils de discipline.»
Les assistantes d’éducation, elles aussi, alertent : «L’infirmière n’est pas là à plein temps. On se retrouve à gérer des choses qui ne relèvent pas de notre rôle. Et on aurait besoin d’une présence bien plus forte d’un·e psychologue de l’Education nationale. Les élèves ont des besoins énormes. On se sent souvent démunies.»
La carte du réseau d’éducation prioritaire figée depuis 2014
Le dispositif REP + permettrait des effectifs réduits, du temps de concertation, des postes en plus, des primes, et un accompagnement renforcé. Tout ce qui manque aujourd’hui à Gérard-Philipe. Mais «la carte de l’éducation prioritaire, figée depuis 2014, n’a connu aucune révision malgré les nombreux signaux d’alerte venus du terrain», dénonce Sandrine Charrier, professeure et représentante du SNES-FSU. «On nous balade depuis 2014. La carte devait être revue tous les quatre ans. Et chaque année, on nous dit : “Ce sera pour l’année prochaine.”» Ni Jean-Michel Blanquer, ni Pap Ndiaye, ni Nicole Belloubet n’ont tenu la promesse d’une réévaluation des classements REP et REP +, censés réduire les inégalités.
En l’absence de moyens supplémentaires permis par un tel classement, Grégory Baclet, père de Clara, élève de cinquième, s’inquiète : «Ma fille a une option cinéma, et du jour au lendemain, elle risque d’avoir moins d’heures. Je ne comprends pas pourquoi. Il y a une forme de dégradation. Pourtant, elle a choisi cette option depuis le CM2. Elle veut vraiment faire ça.» Le collège accueille aussi une classe UP2A, pour les élèves allophones récemment arrivés en France et une classe ULIS pour les élèves en situation de handicap. «C’est notre rôle de les accueillir et de les accompagner. Mais là aussi, nous manquons de moyens. Il nous faudrait un·e enseignant·e supplémentaire en UP2A pour remplir pleinement notre mission», explique Agnès Drago.
«On sacrifie les établissements les plus fragiles sur l’autel de l’austérité»
«Il y a une vraie détresse personnelle chez plusieurs collègues», confie Cécile Millard, professeure d’anglais. «On arrive à saturation. Ça fait quinze ans que je suis ici. J’ai cumulé 500 points, mais je ne peux toujours pas muter. Avec mes années à Marseille, ça fait vingt ans en quartiers Nord. A un moment, c’est trop. La corde est en train de lâcher.» Pourtant, chaque matin, les profs sont là. «On fait de notre mieux, vraiment. Mais là, ce n’est plus tenable. On a besoin de moyens. Et on a besoin de reconnaissance.»
La mobilisation a permis de décrocher une rencontre avec la rectrice d’académie ce mardi soir, qui n’a toutefois rien donné. «On a appris qu’elle ne pouvait rien faire, ni pour le classement en REP, ni en REP +. Pourtant, il y a clairement une anomalie importante», dénoncent en chœur Frédéric Campguilhem et Sandrine Charrier. «On nous parle d’une enveloppe budgétaire contrainte. Mais c’est un argument injuste : ça coûte bien moins cher que d’autres dispositifs comme les classes prépas. On sacrifie les établissements les plus fragiles sur l’autel de l’austérité, sans justification pédagogique valable», insiste Frédéric Campguilhem. Déterminés, les enseignants et les parents prévoient de se mobiliser à nouveau, le 10 juin, devant le rectorat.