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Mobilisation

«Opérations collège mort» : que sont ces mouvements organisés contre la création des groupes de niveaux ?

Pour lutter contre cette future évolution dans le cadre la réforme dite «du choc des savoirs» portée par Gabriel Attal, parents et enseignants se mobilisent dans plusieurs établissements.
Une manifestation d'enseignants, à Paris, le 1er février 2024. (Valerie Dubois/Hans Lucas.AFP)
publié le 11 mars 2024 à 20h30

La fin des vacances d’hiver pour les trois zones sonne la reprise des mobilisations dans les collèges de France. Pour s’opposer à la réforme dite «du choc des savoirs» du gouvernement, visant notamment à introduire des groupes de niveaux, les professeurs font cette fois appel aux parents, avec des opérations «collège mort». Des initiatives de ce type ont eu lieu ce lundi 11 mars dans plusieurs villes de France, avant un appel concernant plusieurs établissements à travers Paris pour mardi 12 mars.

Qu’est-ce qu’une opération «collège mort» ?

Dans le cadre de ces actions, les enseignants demandent aux parents qui le peuvent de garder leurs enfants chez eux, afin de montrer leur soutien au mouvement. Les profs sont toutefois présents dans les collèges – ils ne font pas grève – et peuvent donc accueillir les élèves qui ne peuvent être gardés par leurs parents. «Nous, on ne nous écoute pas, les parents ont un pouvoir que l’on n’a pas», martèle Juliette (son prénom a été modifié), une enseignante de collège mobilisée à Paris.

Ce lundi matin, 97 % des élèves du collège Raoul-Rebout de Montlouis-sur-Loire, en Indre-et-Loire, étaient absents, rapportait France Bleu. Ils étaient 50 présents sur 627 au collège Jacques-Prévert de Bourg (Gironde), le 8 mars, selon Sud Ouest ou encore 30 sur 650 au collège George-Sand de Châtellerault (Vienne), le 16 février, selon la Nouvelle république.

Mardi 12 mars, plusieurs collèges des XIIIe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements de Paris ou encore de Bondy (Seine-Saint-Denis) ont lancé une opération similaire. Concrètement, les élèves présents sont pris en charge par les enseignants, présents eux aussi. Mais ils ne font pas avancer le cours, pour ne pas pénaliser les absents.

«Cette modalité d’action semble retrouver un certain succès ces derniers jours, note auprès de Libération Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU. Les collègues sont mobilisés depuis début janvier, c’est une manière de rebondir après des journées de grèves et de réunions publiques». Ce type de mobilisation n’est en effet envisageable que parce que les enseignants ont accompagné leur mouvement d’opposition à la réforme de moments d’échanges avec les parents sur leurs positionnements.

Mais il ne fait pas l’unanimité pour autant. «On estime que ce n’est pas en supprimant plus d’heures de cours à nos enfants que l’on trouve des solutions pour leur avenir», réagit Laurent Zameczkowski, porte-parole de la Peep, la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public, qui privilégie le dialogue comme mode d’action. L’opération est plutôt portée par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), qui prévoit un décompte des établissements mobilisés mercredi.

Qu’est-ce que la réforme des groupes de niveaux ?

Début décembre, Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, avait effectué plusieurs annonces dans le cadre du «choc des savoirs», ensemble de réformes destinées à redresser le niveau des élèves. Dont la création de groupes de niveaux à partir de septembre 2024 en sixième et en cinquième pour le français et les mathématiques. Les élèves seraient divisés en trois groupes à effectifs réduits : «à besoins», «faible à moyen», et «satisfaisant et au-delà». Pour le reste des matières, comme l’histoire-géo ou l’anglais, chacun sera dans sa classe d’origine.

Le groupe des élèves le plus de difficulté n’excédera pas quinze personnes, selon le ministère. Le but ? «Elever le niveau scolaire de tous» et «mieux répondre aux besoins de chaque élève», en réponse aux mauvais résultats de la France dans la dernière enquête internationale Pisa.

De tels groupes de niveau sont annoncés aussi en quatrième et en troisième à partir de septembre 2025.

Ce projet, critiqué par les chercheurs et les professeurs, et qui ne suscite pas un grand enthousiasme chez la nouvelle ministre Nicole Belloubet, «reste une très bonne idée et va être appliqué à la rentrée prochaine», a insisté Gabriel Attal dans l’émission C à vous le 8 mars. Le Premier ministre a toutefois ouvert la porte à des aménagements, en souhaitant «laisser de la flexibilité et de la souplesse aux établissements».

Quelles sont les revendications ?

«Nous sommes un collectif composé de plus d’une vingtaine d’établissements parisiens mobilisés contre les mesures dites “du choc des savoirs», écrivent dans un communiqué les enseignants mobilisés de l’est et du nord parisien. La mise en place de groupe de niveaux en mathématiques et en français défendue par la réforme «inquiète et remet en cause la réussite de tous les élèves», écrit la FCPE dans un autre communiqué.

Un mois après son arrivée à la tête du ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet a esquissé un recul en parlant de «groupes de besoins» le 7 mars. Mais dès le lendemain, Gabriel Attal a enfoncé le clou en défendant ses groupes de niveaux. «On ne comprend plus rien à rien dans ce dossier, peste Grégoire Ensel, président national de la FCPE. Ce qui est sûr, c’est qu’on est contre tout ce qui va trier les élèves et empêcher les progressions». Son homologue de la Peep regrette, lui aussi, «le flou» qui entoure la mise en place des groupes de niveaux bien qu’il ne soit pas, par principe, contre l’idée.

Un point met tout le monde d’accord : l’Education nationale manque de moyens pour mettre en place cette réforme qui nécessiterait l’embauche de 2 000 enseignants de français ou mathématiques. «Vu comment se passent les concours et la faible attractivité du métier, ce sont des emplois impossibles à pourvoir, déplore Grégoire Ensel. La vague qui monte avec les collèges morts montre bien le besoin de baisse d’effectifs dans les classes et de recrutement d’enseignants formés avant de faire des grandes réformes qui tombent du haut vers le bas et qu’on n’a pas les moyens d’appliquer.»

D’autres mobilisations sont-elles à prévoir ?

Pour les syndicats, le point d’orgue reste la mobilisation du mardi 19 mars pour les salaires dans la fonction publique. Côté parents d’élèves, on espère pouvoir mettre la pression à la ministre Nicole Belloubet lors de la réunion du Conseil supérieur de l’éducation prévue jeudi 14 mars.

Par ailleurs, d’autres luttes locales ont lieu, contre des fermetures de classes, à Paris, par exemple, ou pour un plan d’urgence pour la Seine-Saint-Denis. Les enseignants promettent un printemps agité à Nicole Belloubet et au gouvernement.