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Interview

Postes d’enseignants non pourvus : «La pénurie est une tendance générale»

Malgré un léger mieux, les embauches restent grevées par des salaires trop bas et des réformes engagées «à la va-vite», regrette la présidente de l’Association des professeurs de mathématiques, Claire Piolti-Lamorthe, qui plaide pour une refonte des modes de recrutement.
Le nombre de postes restés vacants dans le public s’élève à 1350 en maternelle et à l’école élémentaire et 1575 au collège et lycée. (Julien de Rosa/AFP)
par Recueilli par Pénélope Gualchierotti
publié le 9 juillet 2024 à 17h43

Recherche enseignants désespérément. 3185 postes n’ont pas été pourvus dans l’enseignement public et privé en 2024, d’après les chiffres du ministère de l’Education nationale publiés lundi 8 juillet. Pour les collèges et lycées publics, le taux de postes qui ont trouvé preneurs, tous concours confondus, atteint 88,3 % cette année, contre 86,3 % en 2023 et 83,3 % en 2022. La situation s’améliore légèrement pour des disciplines traditionnellement déficitaires comme les mathématiques ou les lettres classiques.

Au sein du public, le nombre de postes restés vacants s’élève à 1350 en maternelle et à l’école élémentaire et 1575 au collège et lycée. Le taux se dégrade pour la voie technologique, avec 77 % des postes pourvus contre 86 % l’an dernier. Pour Claire Piolti-Lamorthe, professeure de mathématiques dans un collège lyonnais et à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé, qui forment les profs et les CPE), également présidente de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public, les réformes récentes menées dans la précipitation jouent sur l’attractivité du métier.

Comment interprétez-vous la légère augmentation du nombre de postes pourvus par les concours de l’enseignement cette année ?

Même s’il y a une petite amélioration, le faible nombre d’inscrits au concours et le nombre de postes non pourvus, qui sont nécessaires, restent de toute façon inquiétants. La pénurie est une tendance générale. En mathématiques, nous comptons encore cette année plus de 200 postes non pourvus. Ce n’est pas très surprenant. Cela correspond à la tendance depuis plusieurs années. C’est une situation qui reste alarmante pour notre discipline mais pour d’autres aussi, notamment le français.

Le ministère de l’Education nationale peine à inverser la tendance. La rapidité et la récurrence des réformes posent un problème. Ont-elles réellement le temps d’être évaluées ? Tous ces changements sont aussi à l’origine des baisses d’inscription au concours. Ces réformes peuvent effrayer certains étudiants. Nous avons observé une forte baisse du nombre d’inscrits en 2022, année du déplacement du concours du master 1 au master 2. Lorsque j’ai passé le Capes il y a vingt-quatre ans, il fallait être classé dans les 20 % premiers pour obtenir le concours. Aujourd’hui, il n’y a même pas assez de candidats au concours au niveau pour pourvoir tous les postes. Le manque de candidats est préoccupant.

Comment expliquer la pénurie de candidats aux concours ?

Concernant les étudiants en mathématiques, d’autres professions plus rassurantes s’offrent à eux. Le système des mutations dans l’enseignement peut être compliqué pour certains lauréats de concours, qui doivent déménager dès l’année de stage. Il faut avoir très envie de faire ce métier pour s’engager.

Les choix financiers entrent aussi en jeu. Un effort salarial sur l’entrée de carrière a été fait, avec une rémunération supérieure à 2 000 euros nets par mois, mais au prix d’une stagnation du salaire sur de nombreuses années. Nous observons l’arrivée personnes en reconversion, qui ont déjà fait une carrière dans le privé, acheté une maison et choisissent seulement plus tard l’enseignement. Une fois en poste, nous sommes aussi bousculés par des temps partagés entre plusieurs établissements, des emplois du temps très contraints, des conditions d’exercice pas forcément choisies… Nous devons choisir ce métier en connaissance de cause.

Avancer le concours à bac +3 plutôt qu’à bac +5, comme l’a annoncé en avril Emmanuel Macron, peut-il être une solution pour attirer plus de candidats ?

Notre association soutient cette proposition de réforme de niveau de recrutement du concours. Nous militions pour que le concours ne soit plus en master 2, si la formation de deux ans est solide, avec seulement un tiers-temps passé en classe et non un mi-temps. Le concours en fin de master posait différents problèmes. C’est une année avec des objectifs lourds et très différents pour les étudiants : exercer des responsabilités en classe durant les stages, écrire un mémoire et préparer le concours. Les jeunes qui n’avaient pas les moyens financiers de réaliser des études aussi longues ne pouvaient se le permettre. Le concours en licence 3 permettra aux élèves d’être stagiaires et d’obtenir un salaire durant leurs deux années de master. Cela ouvrira le concours à des personnes issues de classe sociales moins favorisées.

En revanche, nous aurions souhaité disposer de plus de temps pour réfléchir à son organisation au sein des universités et dans les Inspé. Il faut réfléchir à une articulation entre les savoirs appris par les étudiants en licence et la manière dont l’enseignement va être transposé. Le problème est que la réforme se fait à la va-vite. Les étudiants qui entreront en L3 à la rentrée se lanceront-ils dans le concours en mars ? Nous n’avons même pas d’épreuve zéro pour les préparer. Certains vont possiblement attendre une année de plus. Nous avons besoin d’être rassurés sur le cadre dans lequel nous travaillons. Lorsqu’il y a des réformes à propos de l’exercice du métier, il ne faut pas de précipitation.