A l’université, les vacataires se rebiffent. «Nous lançons un appel national à la rétention des notes du deuxième semestre pour demander aux présidences d’université de discuter avec nous», lance Camille (1), porte-parole du nouveau collectif Vacataires.org. Son prénom est modifié car, comme beaucoup d’enseignants-chercheurs sans poste, il craint que son activisme plombe ses espoirs de titularisation. Ici la revendication est simple : doubler les rémunérations des vacataires. «Certains n’ont que ces vacations pour vivre et cela représente moins de 500 euros par mois, quelques mois dans l’année», explique Camille.
Sous cette appellation, se cachent les professeurs rémunérés au cours. Un système mis en place pour faire appel aux professionnels (avocats, économistes, journalistes, etc.) venus pour donner un enseignement ponctuel. «Les vacataires sont 130 000 en France, ils assurent un quart des heures de cours dans les universités pour 0,6 % du budget de l’enseignement supérieur», rappelle Camille. Mais pour 30 000 à 60 000 jeunes chercheurs dans l’antichambre du monde académique, les vacations sont parfois leur unique salaire. Ils sont thésards sans contrat doctoral – soit environ 8 000 personnes, selon un récent rapport de la Confédération des jeunes chercheurs – ou jeunes docteurs, et espèrent décrocher un poste pour rejoindre les quelque 60 000 enseignants-chercheurs titulaires un jour.
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Libération leur avait donné la parole au moment de la levée de boucliers contre la loi de programmation de la recherche. «Le taux horaire d’un cours a été fixé en 1987. Il a connu de légères révisions, mais il a n’a pas été indexé sur le SMIC. Il est aujourd’hui d’un peu plus de 40 euros de l’heure pour un TD, il serait de 80 euros si une indexation avait été mise en place. Ce doublement que nous demandons est donc le rétablissement du niveau de rémunération prévu à l’origine», explique Camille. Pour le moment, le collectif réunit 400 personnes mais il gagne «plusieurs dizaines de membres chaque jour». Suffisant pour rendre crédible la menace de bloquer les retours de partiels ? «Nous n’avons pas besoin d’être très nombreux pour perturber une université. Si je suis responsable d’un cours magistral de 100 personnes et de deux TD de 30 personnes, je bloque 160 notes à moi tout seul», explique Camille.
Bloquer les établissements sans même faire grève
Concrètement, le collectif demande aux présidents d’universités de déclarer une heure de préparation en plus pour chaque heure de cours commandée à un vacataire. De quoi doubler leur salaire donc, sans passer par un décret modifiant le taux horaire. Une mesure qui «ne représente que 0,5 % à 1 % du budget des universités selon les cas», selon l’enseignant-chercheur vacataire. Pas une grosse somme. En s’adressant directement aux présidents plutôt qu’au ministère et en choisissant une action bloquante et symbolique, le collectif vise «l’efficacité». «Ces dernières années, plusieurs conflits locaux utilisant ce mode d’action ont été victorieux. Nous prenons acte des échecs successifs des grands mouvements sociaux dans le secteur. Donc soit on accepte tout, soit on imagine de nouvelles formes de lutte», défend le porte-parole de Vacataires.org.
Ce mode d’action qui a un impact réel sur les étudiants marque un tournant dans les mobilisations des personnels de l’enseignement supérieur. Ils ont les moyens de bloquer leurs établissements sans même faire grève mais ils ont longtemps rechigné à mettre en place un mode d’action pénalisant les étudiants. Jusqu’à récemment. En parallèle de cette mobilisation des vacataires, un autre collectif, celui des enseignants du secondaire en poste dans les universités, appelle à ne pas participer au classement des dossiers Parcoursup. En cause : leur non-inclusion dans le système de primes des personnels du supérieur mis en place après le vote de la loi de programmation de la recherche. Et ce n’est pas nouveau. En 2021, le département Staps de Rennes 2 avait suspendu ses activités pédagogiques pour dénoncer la faiblesse de ses effectifs enseignants.
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Selon Camille, le mouvement des vacataires ne pénalise pas les étudiants, «il flirte avec cette ligne» : «Les étudiants pourront nous demander leurs notes personnelles s’ils en ont besoin pour un dossier d’inscription, par exemple.» Mais il s’attend à ce que cette limite soit franchie dans les mobilisations futures. «Il y a une fatigue monstrueuse dans l’enseignement supérieur face aux évolutions du système : la baisse du taux d’encadrement, la hausse des tâches administratives et de la précarité. La communauté semble prendre conscience de son pouvoir, au moins partiellement, je ne sais pas jusqu’où elle ira.» Le collectif revendique être soutenu par des titulaires, eux aussi prêts à bloquer leurs notes. Un nouveau front social est-il en train de s’ouvrir dans les universités à l’heure où les étudiants sont à la pointe de la mobilisation contre la réforme des retraites ?