Il se pose en «lanceur d’alerte», dénonce «la cancel culture» et l’assure : «Je ne vais pas lâcher !» Klaus Kinzler remonte ces derniers jours sur le ring médiatique dans la bataille qui l’oppose depuis un an à l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble. Ce professeur d’allemand et de civilisation allemande a été suspendu de ses fonctions, lundi et pour quatre mois, pour avoir tenu «des propos diffamatoires dans plusieurs médias contre l’établissement d’enseignement supérieur dans lequel il est en poste», selon l’arrêté pris par la directrice de l’IEP, consulté par Libération. Depuis la révélation de cette suspension par le Figaro, l’affaire prend de l’ampleur, faisant largement réagir au sein de la droite et l’extrême droite.
L’affaire remonte à décembre 2020. Klaus Kinzler prépare alors, avec une collègue enseignante-chercheuse spécialiste de l’histoire coloniale du Maghreb, une journée de débats sur «le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme». Le professeur franco-allemand goûte peu de voir les trois notions mises sur le même plan, estimant, dans un mail adressé à sa collègue, que cela représenterait «une insulte aux victimes réelles (et non imaginaires) du racisme et de l’antisémitisme». Selon lui, le terme d’islamophobie n’existe que pour museler toute critique de l’islam, une religion qu’il reconnaît «ne pas beaucoup aimer».
«Chasse idéologique»
A l’issue d’échanges par mail, sa collègue accepte de retirer la notion d’islamophobie. Mais Kinzler se retrouve alors accusé par certains étudiants sur les réseaux sociaux d’être islamophobe. L’affaire explose publiquement en mars, lorsque son nom et celui d’un collègue se retrouvent placardés sur l’enceinte de l’établissement, aux côtés des phrases «des fascistes sont dans nos amphis» et «l’islamophobie tue». L’Unef, le syndicat étudiant, partage l’image sur Twitter, lui donnant une large visibilité. De là, le professeur court les médias pour se défendre.
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Le 19 novembre, les 17 étudiants de l’IEP poursuivis devant la commission de discipline de l’Université Clermont-Auvergne pour avoir accusé les deux professeurs d’islamophobie ont été relaxés. Klaus Kinzler est revenu sur cette décision dans une interview à Marianne début décembre, estimant que c’était «un blanc-seing pour ceux qui voudraient placer une cible dans le dos des professeurs». Selon lui, «la chasse idéologique aux enseignants est ouverte» et «il devient alors très compliqué d’enseigner à l’IEP, voire impossible, puisque l’esprit critique n’y a plus sa place». Le lendemain dans l’Opinion, le professeur déplorait avoir «vu arriver beaucoup de jeunes chercheurs adeptes des théories woke, décolonialistes, communautaristes, anticapitalistes. Sciences-Po Grenoble n’est plus un institut d’études politiques, mais d’éducation, voire de rééducation politique. Les étudiants sont endoctrinés».
La directrice de l’IEP, Sabine Saurugger, a répliqué la semaine suivante, affirmant que «Sciences-Po Grenoble est un établissement où la liberté d’expression et la liberté d’enseignement se trouvent au cœur du projet académique». Dès le début de l’affaire, elle a imploré Klaus Kinzler de cesser de s’exprimer dans les médias, ce que l’intéressé a toujours refusé. «L’IEP n’a pas publiquement une seule fois dit que je n’étais pas un fasciste. Je suis attaqué et même mis en danger sans que personne ne vienne à mon secours», réagit Klaus Kinzler auprès de Libération. Il se défend également des accusations de diffamation qui motivent sa suspension : «Aucun tribunal ne s’est exprimé pour l’instant pour dire si j’ai dépassé ou non la limite de la liberté d’expression. Je me défends moi-même mais je défends aussi la liberté d’expression, je me bats contre l’intolérance et je défends l’Etat de droit. Je pense que ce n’est pas de la diffamation.»
«Les subventions ne seront pas versées»
Dans un communiqué diffusé mardi, l’école affirme que la direction «n’a pas vocation à s’étendre publiquement sur des mesures de nature disciplinaire […] Elle rappelle simplement que toute décision de ce type est scrupuleusement fondée sur des éléments objectifs, déconnectés des remous du débat public».
Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, estimant que «Sciences-Po Grenoble est depuis trop longtemps dans une dérive idéologique et communautariste inacceptable», a décidé de suspendre tout financement à destination de l’établissement – ce qui représente environ 100 000 euros par an, précise la région à Libération. «Notre décision est ferme. Les subventions en cours ne seront pas versées. La région Auvergne-Rhône-Alpes ne nouera plus aucun partenariat avec Sciences-Po Grenoble tant que la direction n’aura pas fait évoluer sa position», indique Laurent Wauquiez.
Sciences Po Grenoble est depuis trop longtemps dans une dérive idéologique et communautariste inacceptable. Ce n’est pas ma conception de la République : la Région @auvergnerhalpes suspend donc tout financement et toute coopération avec l'établissement.https://t.co/WCvlE9zzSi
— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) December 20, 2021
Notre dossier spécial
La direction de l’IEP a déploré une décision «regrettable», qui «risque d’affecter des étudiants et publics ayant des difficultés d’accès aux études supérieures ou à une formation», le soutien de la région consistant «essentiellement en l’attribution de bourses». «Cette décision semble par ailleurs motivée par un motif politique, davantage que par la réalité de la situation au sein de l’institution», pointe le communiqué, qui appelle Laurent Wauquiez à «revenir sur sa décision dans l’intérêt des étudiants».