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Libération
Reportage

Acculée, Amélie Oudéa-Castéra dénonce des «attaques personnelles» sur sa vie privée, des élus fustigent sa «déconnexion»

La ministre de l’Education, dont la démission est désormais sur la table après les révélations de «Libération», a tenté ce lundi 15 janvier d’éteindre l’incendie en invoquant le respect de sa vie privée. Sans convaincre les élus du département, qui fustigent sa «déconnexion» avec la réalité d’une école publique sinistrée.
Amélie Oudéa-Castéra à Andrésy, le 12 janvier 2024. (Denis Allard/Libération)
publié le 15 janvier 2024 à 11h48
(mis à jour le 15 janvier 2024 à 13h31)

La presse avait été prévenue : la ministre de l’Education, des Sports et des Jeux olympiques, attendue sur le village olympique, ne répondra à aucune question sur la polémique concernant son choix de scolariser ses enfants à Stanislas, un chic établissement privé catholique de la capitale. Sur le coup de 11 heures, voilà Amélie Oudéa-Castéra qui sort d’une berline, en manteau pourpre, sous les crépitements des photographes de presse, et retrouve son collègue de l’Intérieur Gérald Darmanin devant la sous-préfecture de Saint-Denis pour une visite express du village olympique, à six mois du début des Jeux olympiques.

Sourire crispé, la ministre écoute attentivement les explications du directeur général de la Solideo, Nicolas Ferrand, qui détaille les principales réalisations du chantier, quasiment achevé. Mais la polémique, qui a rebondi depuis la publication par Libération du témoignage de l’ancienne institutrice de son fils aîné dans le public, plane sur la visite au pas de course, dans un froid glacial. Les journalistes sont tenus à l’écart, interdiction leur a été de faite de poser des questions pendant la déambulation, «sinon on vous dégage», a prévenu le cabinet du ministre de l’Intérieur. Tout de même, un micro tendu est organisé au pied des immeubles flambant neufs construits par Vinci. Honneur au ministre de l’Intérieur, qui déroule pendant de longues minutes sur la sécurisation des Jeux, balayant les inquiétudes sur le manque de vigiles. On se lance : «Madame la ministre, il semble que vous n’ayez pas dit la vérité sur la raison pour laquelle vous avez décidé de scolariser vos enfants dans le privé. Vous avez le droit de le faire, mais pourquoi n’avez-vous pas dit la vérité ?»

«Je ne veux pas aller plus avant sur le terrain de la vie personnelle et de la vie privée. Il y a des attaques auxquelles j’ai essayé de répondre avec le plus de sincérité possible. Il faut clore ce chapitre des attaques personnelles et de la vie personnelle», répond la ministre, rappelant avoir pris la peine de répondre à Libération et à l’AFP. On insiste : «Pouvez-vous encore rester en poste dans ces conditions ?» Elle fait mine de ne pas entendre. «Jamais mon mari et moi n’avons priorisé autre chose que le bien-être de notre enfant, assure-t-elle. Je crois en l’école de la République, je crois en l’école publique, je crois qu’il faut tous que nous ayons beaucoup d’ambition pour elle.» On revient à la charge sur la question de sa démission, qui se pose désormais ouvertement. Mais le micro tendu est terminé, et la visite se termine au pas de charge par la nouvelle caserne de pompiers avant qu’Amélie Oudéa-Castéra ne s’engouffre dans une voiture, direction la préfecture de Bobigny.

«Elle ne va pas tenir longtemps avec une telle polémique sur les bras», pronostique Eric Coquerel, le député LFI de la circonscription, qui prédit des «QAG» (questions au gouvernement) houleuses ce mardi. «C’est une chose de mettre ses enfants dans le privé, c’est une autre de taper sur l’école publique, pour justifier en réalité ce que font pas mal de gens de sa classe sociale», à savoir du «séparatisme social», affirme-t-il. Et d’ajouter : «Le fait d’avoir menti montre qu’elle n’est pas à l’aise sur le sujet et je ne vois pas comment elle peut reprendre une autorité suffisante.»

Parents catastrophés

Député PCF de la circonscription voisine, Stéphane Peu pointe du doigt «la déconnexion» de la ministre - et de «la grande bourgeoisie» à laquelle elle appartient - d’avec «la réalité de ce pays». Un autre «chantier» que celui du village olympique doit être érigé en priorité absolue, selon lui : «Offrir à tous les élèves de ce pays, et en particulier de ce département, les conditions d’enseignement de Stanislas.» Auteur d’un rapport parlementaire récent sur les moyens de l’Etat en Seine-Saint-Denis, Peu rappelle qu’«entre le CP et la terminale, les élèves y ont l’équivalent d’une année entière sans professeur».

Et «sans que les parents aient les moyens de les inscrire ailleurs», précise le parlementaire. Après la visite, Stéphane Peu a d’ailleurs rendez-vous avec des parents d’élèves d’une école primaire privés d’enseignant depuis trois mois. Avant les fêtes de Noël, il avait reçu des parents catastrophés que leurs enfants n’aient pas de prof de français depuis un trimestre. Une réalité que cette «polémique», que la nouvelle ministre aimerait refermer au plus vite, aura eu le mérite de mettre en lumière.

Mise à jour le 15 janvier à 13h30 avec le récit de notre journaliste sur place