Menu
Libération
Ecole inclusive

Scolarisation des élèves handicapés : les AESH sont-elles vraiment indispensables ?

Le recours croissant à ces professionnelles pose question alors que les critiques envers l’école inclusive n’ont jamais été aussi nombreuses.
Une élève avec son accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH), à l'école Jean-Moulin des Villages-Vovéens (Eure-et-Loir), en avril. (Christophe Maout/Libération)
publié le 31 mai 2024 à 7h30

Le réflexe est ancré : pour scolariser des élèves handicapés, on fait appel aux accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH). De plus en plus. Ainsi sont-elles passées de 86 000 en 2015 à 140 000 cette année, devenant, selon un rapport de l’Inspection générale de l’éducation d’avril 2022, «le principal moyen de compensation du handicap». Pourtant, «l’école inclusive», comme on appelle le fait de scolariser les élèves handicapés, n’a jamais suscité autant de critiques. Alors, ce réflexe est-il pertinent ?

Une aide humaine

Ces professionnelles (des femmes à plus de 90 %) sont présentes en classe aux côtés d’enfants et d’adolescents dyslexiques, autistes ou atteints de troubles moteurs, par exemple, pour les aider à comprendre des consignes, prendre des notes, faire des exercices. Mais parmi les spécialistes de l’école inclusive – chercheurs, enseignants ou inspecteurs notamment –, une certitude a fini par se dessiner : le meilleur moyen de scolariser correctement les jeunes handicapés n’est pas tant de leur adjoindre une aide humaine que de revoir la façon de faire cours, pour tous les élèves.

Thierry Bour, conseiller école inclusive à la délégation interministérielle sur les troubles du neurodéveloppement, aime prendre un exemple, celui de cette amie en fauteuil roulant qui devait participer à une réunion et s’est retrouvée bloquée par un ascenseur en cours de réparation. Elle avait bien un moyen de compensation (son fauteuil), mais l’environnement n’était pas adapté. «Certains enfants ont besoin d’une compensation humaine, d’un fauteuil roulant humain. Mais si, derrière, l’environnement pédagogique n’est pas adapté, ça ne fonctionne pas. C’est ça, la limite des AESH, expose-t-il. Lorsqu’on met une AESH dans la classe, ça peut décharger l’enseignant d’une part de son travail et il ne va plus penser à l’accessibilité de sa pédagogie, qui peut pourtant répondre à certains besoins. Si un enfant a du mal à comprendre une consigne, l’enseignant peut la rendre plus lisible en utilisant des caractères plus gros, et ce sera valable pour toute la classe.»

Des AESH pour les enseignants

Cette logique prévaut d’ailleurs lors des attributions d’AESH. Cette mission revient aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui étudient chaque dossier et décident quel élève pourra bénéficier d’une AESH et à hauteur de combien d’heures par semaine. «La commission regarde si l’enseignant met en œuvre des mesures pédagogiques adaptées (réduire les exercices en longueur, faire des dictées à trous, donner des polycopiés…). Si oui, on peut réfléchir à ne pas attribuer une AESH», explique le vice-président d’une de ces commissions, sous couvert d’anonymat.

S’agit-il pour autant de se débarrasser des AESH ? Non, répondent en chœur nos interlocuteurs. «Il y a des élèves qui vont être perdus en étant tout seuls, qui n’osent pas aller vers les autres, on les amène à communiquer, à s’ouvrir à plus de monde», défend Lindsey Barlet, AESH en Haute-Loire. Lysiane Claire, AESH à Dieppe (Seine-Maritime), repense à cet élève de grande section, atteint d’une déficience intellectuelle, d’un retard de langage et de troubles moteurs, pétrifié par le moindre bruit, craintif des adultes : «Au bout de six à huit mois, d’un seul coup lors d’un cours de musique, il s’est mis à sourire, à essayer de chanter. On en aurait pleuré. Depuis, il ne vient plus à l’école en pleurant, il a la banane, c’est un grand bavard. Ce jour-là, il s’est épanoui et a compris qu’il pouvait avoir confiance en nous, en notre école. Notre métier est essentiel pour les élèves et les familles, si on n’était pas là, la scolarisation serait très difficile pour certains élèves.»

Il s’agirait en revanche de revoir le dosage et la définition des missions des AESH. Pour Marie Toullec, professeure des universités en sciences de l’éducation à Nantes, qui a réalisé plusieurs travaux de recherche sur ces professionnelles, «on pourrait imaginer trois AESH à temps plein dans une école et un éducateur spécialisé, qui répondraient aux besoins des enseignants et non pas uniquement aux besoins des élèves. Si on continue à se polariser sur l’enfant, l’adolescent, on ne rendra pas l’accessibilité aux apprentissages meilleure.»