Un bouton pour répondre aux attentats contre l’éducation nationale. Trois semaines après l’assassinat de Dominique Bernard dans son lycée à Arras, Elisabeth Borne s’est dit, ce lundi matin, favorable à la généralisation de «boutons d’appel» dans les collèges et lycées pour «prévenir immédiatement le commissariat» en cas de danger.
«C’est une simple annonce de communication, déplore Guislaine David, cosecrétaire générale du syndicat SNUipp-FSU. Avant de parler de gadget, il faudrait déjà que les alarmes anti-intrusion soient réellement fonctionnelles.» Quelques jours après l’assassinat de Dominique Bernard, le ministère de l’Education avait adressé un questionnaire sur leurs failles de sécurité aux établissements scolaires. Et leurs réponses étaient sans appel. «61,1 % des directeurs des établissements scolaires ayant répondu ont dit qu’ils n’avaient pas d’alarmes anti-intrusion fonctionnelles», informe la cosecrétaire du syndicat majoritaire dans l’enseignement primaire ayant eu accès aux résultats de l’enquête. Face à ces insuffisances, demander la généralisation de boutons d’appel sonne un peu creux à ses yeux.
Même constat dans l’enseignement secondaire où l’on met en avant les grillages endommagés et les portails d’entrée défaillants. «Il y a d’autres problèmes matériels qui se posent dans les collèges et les lycées, il nous faut des équipements opérationnels», rappelle Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU et professeure de SES. Celle-ci pointe aussi les manques de moyens humains criants pour assurer la surveillance et des formations aux «plans particuliers de mise en sûreté» (PPMS, plan décrivant la conduite à tenir face aux incendies, intrusions, accidents chimiques ou attentats.) «Avec plus de temps d’échanges, de formations du personnel des établissements aux PPMS, il y aurait une bien meilleure prévention.»
Des mesures efficaces mais anxiogènes
«Ce que je cherche, ce sont des mesures efficaces», a pourtant assuré la Première ministre au micro de France Inter, ce lundi. Pour trouver lesdites mesures, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal avait convié, en visioconférence, les associations d’élus locaux pour recueillir leurs propositions.
Il n’en fallait pas plus pour satisfaire Christian Estrosi. Le maire de Nice n’a pas manqué de vanter, dans un communiqué publié aujourd’hui, son système de «boutons d’alertes» expérimenté en 2015 et généralisé en 2016. «Je me félicite des déclarations d’Elisabeth Borne qui se dit favorable à une généralisation des boutons d’appel dans les établissements scolaires», écrit ainsi l’édile Horizons de la ville affichant la plus grande densité de caméras de vidéosurveillance.
Dans la ville, chaque école est équipée de deux boîtiers reliés au centre de surveillance urbain (CSU) – comprendre au système de vidéosurveillance urbain – en cas de problème, le directeur presse un bouton sur ce boîtier et alors un micro se déclenche. «On a le son de ce qui se dit et se passe à l’endroit où il est activé, détaille fièrement le premier adjoint, Anthony Borré. Cela permet d’agir rapidement et d’envoyer, après une levée de doute effectuée grâce aux caméras de vidéoprotection du secteur, l’équipage de police le plus proche.»
La mairie des Alpes-Maritimes ne peut «que se réjouir» des annonces de la Première Ministre. «Il faut s’adapter aux dangers du monde» ne manque pas d’alerter le premier adjoint. Pour se prémunir «face à ceux qui ne respectent plus la République», les nouvelles technologies apparaissent salutaires pour les mairies, bien que la dérive sécuritaire inquiète. Certains parents d’élèves craignent une «atmosphère anxiogène» à l’image des témoignages recueillis par le journal la Provence, lorsque la mairie d’Aix-en-Provence avait mis en place, en 2016, un dispositif similaire au système niçois.
«Ne pas suréquiper les établissements»
«Les enfants et toute la communauté éducative doivent se sentir protégés et non surveillés», pointe Grégoire Ensel, président de Fédération nationale des conseils de parents d’élèves (FCPE). S’il n’est pas opposé à l’annonce de la Première ministre qui peut «aller dans le bon sens», il appelle à ne pas «suréquiper les établissements, par peur de créer un climat propice à l’anxiété.»
Le lendemain de l’assassinat de Dominique Bernard, samedi 14 octobre au matin, Sophie Vénétitay enseignait dans son lycée en Essonne où entrées et sorties étaient encadrées par les forces de l’ordre. «En classe, la première chose que mes élèves de seconde m’ont demandée c’est : Madame, est-ce que les policiers vont rester longtemps ?» Pour la secrétaire générale du syndicat majoritaire de l’enseignement secondaire, «il faut prendre garde à ne pas bunkériser l’école». Même rengaine pour la porte-parole de la SNUipp-FSU, Guislaine David, qui refuse fermement que l’école française s’inscrive dans «système américain de surveillance».
Qui peut financer ?
D’autant plus que ces systèmes de protection, ou de surveillance, sont très, trop, coûteux. A Aix-en-Provence, les 800 bippers ont coûté 107 000 euros, une somme que de nombreuses communes ne peuvent débourser (ou certains départements dans le cas des collèges), alors que leurs trésoreries ne leur permettent même pas d’installer des alarmes anti-intrusion. Un sujet mis sur la table lors de la visioconférence organisée par le ministre de l’Education avec les représentants locaux pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires. Selon l’Association des maires de France (AMF) représentée par le maire d’Arras, Frédéric Leturque (Les Centristes), lors de la réunion, les collectivités ont beaucoup insisté sur la question des financements.
«Le ministre nous a dit que l’Etat pourrait assurer 50 % des financements en matière d’équipements, portiques, clôtures, caméras, mais toutes les collectivités n’ont pas les moyens de faire les 50 % du chemin restant», a mis en garde Frédéric Leturque à la sortie de l’échange. «Il faut que ce qui s’est passé à Arras donne la tonalité d’un chantier qui s’ouvre. Aujourd’hui on est sur un état d’esprit, un diagnostic, des propositions de solution», a-t-il ajouté, précisant lui aussi que le «bouton d’appel» ne réglerait pas tous les problèmes.