Rebelote. Par le truchement des réseaux sociaux, des lycées publics et privés hexagonaux sont de nouveau accusés de laisser à la libre disposition de leurs élèves un ouvrage aux écrits subtilement homophobes, transphobes voire anti-capote. Depuis dimanche, ces établissements – un lycée public et un lycée privé parisiens sous contrat, un lycée public de l’Essonne et un autre du Nord – sont épinglés sur Twitter et Instagram via des témoignages et des captures d’écran ne montrant que la couverture du livre.
Des associations LGBT, à l’instar de SOS Homophobie, se sont dans la foulée émues de la diffusion d’«un énième manuel scolaire avec des propos LGBTIphobes». Et ce, quatre mois après une polémique du même acabit à l’issue de laquelle, après des excuses contrites, le chef d’établissement d’un lycée catholique breton s’est vu contraint de retirer un manuel aux relents homophobes. Mais cette fois-ci, après vérifications, l’affaire, également relayée par le magazine Têtu, est un poil plus alambiquée.
[THREAD] Dans plusieurs écoles françaises, le manuel LGBTphobe "Question de Vie" est utilisé avec les élèves.@jmblanquer : Combien de temps allez-vous accepter que des écoles utilisent des manuels LGBTphobes ?
— Le coin des LGBT+ (@lecoindeslgbt) March 21, 2021
Extrait 1 :
"L'Eglise souffre de voir l'homosexualité banalisée". pic.twitter.com/z6q0O9llAe
Tout est parti dimanche du compte «Le coin des LGBT+», très suivi, notamment sur Instagram. Son animateur publie d’abord, en fin de journée, quatre extraits d’un «manuel LGBTphobe» réédité en 2014 par les éditions religieuses Mame, Questions de vie : le livre de la vie chrétienne des jeunes. On peut y lire pêle-mêle, sous la plume de son autrice, Sophie de Mullenheim, que «l’Eglise souffre de voir l’homosexualité banalisée», qu’«elle accueille tous les hommes, quelle que soit leur orientation sexuelle, et qu’elle les invite à essayer de ne pas succomber à leurs pulsions et à vivre dans la chasteté» ou qu’une «attirance homosexuelle peut-être une étape passagère». Mais encore, qu’«en France, la loi autorise désormais deux personnes de même sexe à se marier, mais que les lois ne sont pas toutes justes», que «deux hommes ou deux femmes ne pourront jamais avoir d’enfants ensemble» (faisant fi de la possibilité d’adopter pour les couples homos ou des débats pour ouvrir la PMA aux couples lesbiens), que «c’est un mensonge de croire cela» et «contre-nature», que «tout enfant a le droit d’avoir la chance de grandir avec un papa et une maman», etc.
Soit la vulgate «anti-genre» et anti-mariage pour tous, typique de la Manif pour tous, telle qu’elle a été développée par une frange de l’Eglise catholique pour s’opposer aux droits des minorités sexuelles ces trois dernières décennies. «Nous contestons ces accusations d’homophobie et de transphobie, ce n’est ni l’intention ni le propos de notre livre», se défend auprès de Libération l’éditeur de ce «documentaire explicitement à destination des jeunes chrétiens». Et d’ajouter dans son mail : «Ce livre, dont la première édition date de 2004, n’est pas un manuel scolaire, il n’est pas destiné à l’Education nationale.»
Pas de traces dans les CDI
Car si cet ouvrage, un support de catéchèse à destination des ados pour les accompagner dans le développement de leur foi, fait polémique ces dernières quarante-huit heures, c’est bien parce qu’il serait mis à disposition de collégiens et de lycéens d’au moins quatre établissements, selon ses détracteurs. «Plusieurs élèves m’ont fait remonter sur Instagram que le manuel était soit laissé à disposition dans les CDI ou aumôneries, soit utilisé (en cours de philo, éducation morale et civique, pastorale), selon les établissements», soutient l’animateur du compte «Le coin des LGBT+».
Pourtant, les proviseurs des trois lycées publics incriminés n’en ont pas retrouvé trace au sein de leurs établissements, observent les rectorats de Paris et de Lille, et le ministère de l’Education nationale. «On a demandé aux proviseurs des trois lycées de vérifier : ce n’est pas un ouvrage scolaire et ils ne l’ont pas dans les rayonnages de leur CDI. Pas plus qu’il n’a été diffusé en classe», indique à Libération la rue de Grenelle. Et de commenter : «Sur le principe, on considère que ce genre d’ouvrage n’a pas sa place à l’école publique, mais on n’a pas la main sur les ouvrages utilisés dans l’enseignement catholique.»
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Par exemple, lorsqu’ils sont mis à disposition des élèves qui fréquentent une aumônerie ou la pastorale de leur lycée. Ce qui est reproché au lycée Victor-Duruy (VIIe arrondissement) et au lycée Saint-Michel de Picpus (XIIe arrondissement). Le rectorat de l’Académie de Paris, qui fait valoir la mise en place, en 2019, d’un Observatoire académique de prévention et de lutte contre les discriminations anti-LGBT+, précise à ce sujet qu’un «un proviseur d’un lycée public n’est pas habilité pour intervenir sur ce qui y est disponible dans le cadre de l’aumônerie». Contactés par mail, les responsables de la vie scolaire du groupe Saint-Michel de Picpus n’ont, pour leur part, pas encore répondu à nos sollicitations.
«Problématique récurrente»
La mise à disposition et la diffusion auprès des élèves de l’enseignement catholique conventionné de ce genre de documents controversés – le mot est faible – ressurgissent régulièrement dans le débat public. A Lyon par exemple, au lycée Sainte-Marie, une publication du même acabit, mais utilisée en cours de religion pour les classes de terminale, avait défrayé la chronique il y a un an et demi. Incriminée par la presse locale, la brochure avait cependant été défendue par la direction de cet établissement sous contrat très prisé du Ve arrondissement lyonnais, qui n’y voyait aucune «visée ou intention homophobe». Néanmoins, ces documents, qu’ils aient des fins pédagogiques ou non, sont très éloignés voire carrément contraires aux objectifs de lutte et de prévention des LGBTphobies de l’Education nationale, dont les plans d’action successifs prônent des valeurs d’inclusion en milieu scolaire.
«On connaît bien cette problématique, elle est récurrente. Mais dans ce cas, on n’a pas encore le fin mot de l’histoire, confirme Alexis Guitton, enseignant dans le privé et syndicaliste, membre du Collectif éducation contre les LGBTphobies en milieu scolaire. Quoi qu’il en soit, un établissement privé sous contrat est tenu de mener une mission de service public en véhiculant les valeurs de l’Education nationale. On demande qu’une enquête soit faite et si ce livre est diffusé, que le contrat d’association soit interrogé, qu’il y ait sanction.» Hasard du calendrier ? Dans un entretien accordé au Huffington Post lundi, la ministre déléguée chargée de l’Egalité et de la Diversité, Elisabeth Moreno, a annoncé la création par le ministère de Jean-Michel Blanquer d’un site internet «Eduquer contre les LGBTphobies», à destination du corps enseignant pour la prochaine année scolaire. Un outil de formation auquel s’ajoute un audit sur les cours d’éducation sexuelle pour améliorer leur «déploiement effectif».