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Interview

Stages de troisième : «Parfois, le stagiaire qui a l’air perdu ou insolent n’ose même pas demander où sont les toilettes»

Les stages réalisés en fin de collège permettent aux jeunes de mûrir, mais ils pourraient être mieux encadrés, afin d’améliorer cette première expérience en entreprise, défend Camille de Foucauld, du think tank VersLeHaut.
Les bénéfices d’un stage ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit, explique Camille de Foucauld, cheffe de projet au sein du think tank VersLeHaut. (Nicolas Guyonnet/Hans Lucas via AFP)
publié le 16 décembre 2024 à 7h33

Ce lundi s’ouvre le bal des stagiaires de troisième, la semaine avant Noël étant traditionnellement la plus plébiscitée par les collèges pour envoyer leurs élèves en entreprise. Des hordes d’adolescents plus ou moins motivés vont donc prendre leurs quartiers dans divers services pour cinq jours. Enfin… plus ou moins motivés, ou plus ou moins préparés ? Le Collectif Orientation et le Medef ont sorti le mois dernier une enquête sur les immersions en entreprise (stages de troisième, de seconde, visites d’entreprises, stages en lycée professionnel), menée auprès d’entreprises, enseignants, jeunes de 13 à 20 ans et parents d’élèves de ces âges (1), afin de recueillir les ressentis des uns et des autres. Enquête de laquelle il ressort notamment que 92 % des jeunes ont apprécié leur stage et que 94 % des entreprises jugent les immersions professionnelles bénéfiques.

Mais les bénéfices d’un stage ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit, explique Camille de Foucauld, cheffe de projet au sein du think tank VersLeHaut, membre du Collectif Orientation, qui esquisse des pistes d’amélioration pour rendre ce passage obligé plus pertinent pour tout le monde. Notamment en guidant davantage les élèves.

Qu’est-ce que les stages en entreprise apportent aux élèves ?

Les stages en entreprise sont vraiment bénéfiques aux élèves. Leur plus grand apprentissage est la maturité et ce qu’on appelle le sentiment d’efficacité personnelle. Il est conditionné au fait que le stagiaire soit actif et il augmente quand le stagiaire a l’occasion d’entendre le témoignage d’un professionnel, sur sa vie professionnelle, son itinéraire.

On constate moins de bénéfices dans le fait d’avancer dans ses choix de carrière. Le stage génère plus d’incertitudes que de certitudes. 33 % des élèves considèrent qu’il leur a donné des envies pour leur orientation, ce n’est vraiment pas énorme. Mais ce n’est pas du tout une mauvaise chose, c’est comme ça qu’on gagne en maturité – à condition qu’on puisse avoir des réponses aux questions qu’on se pose pendant le stage.

Les adultes ont pourtant tendance à prendre le stage comme une façon d’aider les adolescents à trouver leur voie.

On projette ça parce qu’il y a une espèce de crispation autour de l’orientation, de plus en plus réelle avec le stress de Parcoursup.

Les conditions d’accueil des jeunes ne sont pas toujours optimales. 45 % des entreprises disent par exemple manquer de temps pour les encadrer.

Le temps est un peu le nerf de la guerre. Il faudrait que des intermédiaires proposent aux entreprises des outils clé en main, pour leur permettre d’accueillir beaucoup plus de stagiaires. On pourrait mettre en place un référentiel au niveau national qui dise ce qu’on attend de l’élève. Par exemple : parler à un professionnel et lui poser des questions sur son itinéraire, prendre des notes pendant une réunion et expliquer ce qu’il a compris, puis écrire un post sur le réseau social de l’entreprise.

Aujourd’hui, seules 45 % des entreprises accueillent régulièrement des élèves. Ce sont surtout les petites qu’il faudrait outiller, car elles éprouvent plus de difficultés. Toutes les entreprises peuvent bien accueillir un stagiaire, pas forcément les plus grandes.

Selon les entreprises, seul un élève sur deux se montre intéressé et curieux, et un sur cinq se rend compte après coup qu’il ne savait ni comment se comporter, ni quoi observer. L’observation n’est donc pas une chose facile ?

C’est un exercice en soi d’observer de manière constructive, active, or aucun élève n’apprend à observer à l’école. Il y a une vraie asymétrie : on a parfois un adolescent très jeune, face à un chef d’entreprise qui oublie potentiellement que le stagiaire qui a l’air perdu ou insolent n’ose même pas demander où sont les toilettes ou quoi faire. Il faudrait peut-être qu’on arrête de parler de stage d’observation parce que ça porte une confusion sur le rôle de l’entreprise. Il ne faut évidemment pas mettre les élèves au travail, mais il faut les guider. L’observation est souvent synonyme d’ennui. Plus on manipule, plus on endosse un rôle, plus on apprend.

Peu d’entreprises rencontrent l’élève avant le stage. Pourtant, on a pu mesurer que c’était très utile parce que, s’il y a eu ne serait-ce qu’une rencontre, ça évacue le stress, ça permet à l’élève de savoir ce qu’on attend de lui, comment s’habiller… Si le stage ne s’organise pas en trois temps (anticipation, préparation, restitution), il perd beaucoup en dimension pédagogique. Il faut aussi revaloriser les parents dans le rôle d’accompagnateurs, car selon une étude que nous avons menée, ce sont eux les premiers référents des jeunes, avant les politiques, les médecins, les pompiers ou les influenceurs.

(1) Etude menée entre février et mai 2024. Le volet quantitatif a été réalisé par Opinion Way auprès de quatre échantillons constitués selon la méthode des quotas :​ 602 entreprises​, 600 enseignants, 636 jeunes âgés de 13 à 20 ans​, 889 parents d’élèves âgés de 13 à 20 ans​. Le volet qualitatif a été piloté par le think tank VersLeHaut auprès de dix focus groups : ​trois de jeunes âgés de 13 à 18 ans​, trois d’éducateurs, un de parents d’élèves, un d’experts de l’immersion professionnelle des élèves, issus de la société civile​, et deux de représentants d’entreprises​.