Avouons-le : notre facétieuse hiérarchie nous a suggéré de visionner l’Ecole à remonter le temps avec quelque arrière-pensée. Il faut dire que l’émission, diffusée à partir du lundi 19 février sur M6, avait de quoi, sur le papier, sonner l’alarme de la réac-attitude aiguë. Imaginez : quinze ados de 13 et 14 ans fréquentant l’école d’antan, transportés tour à tour sur les bancs de 1880, 1930 (les deux épisodes du jour), 1950 et 1980 (lundi prochain), le tout avec Lorànt Deutsch en voix off. La sortie de route sur le mode du «c’était mieux avant» nous tendait les bras. On s’était donc préparée à fourbir nos armes pour déglinguer l’Ecole à remonter le temps comme il se doit. Puis, tout à dérapé.
Les gauchères le bras attaché au banc
D’abord, on a ri. Trop, au goût de ce collègue pisse-froid qui nous a reproché d’apporter un peu de bonne humeur dans l’open space. Tout de même, il faut se figurer le jeune Rida répondre, lorsqu’on lui demande s’il serait prêt à défendre son pays en guerre : «Non, flemme.» Avant de nuancer : «J’y vais que s’ils fument ma mère» – ce qui est en soi une motivation tout à fait louable.
On s’est intéressée, aussi. Les scènes montrant les collégiens d’aujourd’hui habillés comme leurs aïeux, découvrant avec effroi l’usage de la plume et de l’encrier, sont entrecoupées de pastilles informatives – c’est là qu’intervient Lorànt Deutsch – somme toute assez éclairantes. Sur la genèse du certificat d’études, l’intérêt des leçons d’hygiène, le parti pris des cours d’histoire-géo…
Surtout, on a aimé découvrir ces ados éveillés – il paraît qu’en anglais, on dit «woke» –, portant un regard lucide et outré sur ce que ces époques lointaines avaient à offrir à leurs congénères. Comme ces élèves gauchères qui se retrouvent soudainement le bras attaché à leur banc car la règle est claire, «on écrit de la main droite, comme tout le monde». «J’avais l’impression d’être une erreur de la nature», réagit ainsi Léna.
«Je suis pas obligée de demander à ma daronne»
Les cours d’arts ménagers proposés aux filles et aux filles seulement ne trouvent pas davantage grâce à leurs yeux. Certes, ils s’avèrent utiles («je suis pas obligée de demander à ma daronne» de recoudre un pantalon, salue Keyra), mais pourquoi en exclure les garçons ? Un non-sens, pour les filles comme pour les garçons, qui s’adonnent pendant ce temps à l’exercice militaire – Rida est chaud pour s’engager dans l’armée – ou à la menuiserie.
Quant au cours d’histoire sur l’empire colonial, il vaut son pesant de cacahuètes. Les ados se retrouvent médusés, déstabilisés devant cette affiche catégorisant les «quatre races d’hommes», chuchotant «c’est hyper raciste» et autre «j’suis choquée». La prof elle-même n’en mène pas large, qualifiant ensuite cette séquence de «tout bonnement insupportable». On ne l’a d’ailleurs pas vue plus à l’aise au moment d’apprendre à ces jeunes filles à devenir de future épouses parfaites («ça les cantonne dans un jeu de femmes, soumises, au foyer»).
Le format rappelle immédiatement le Pensionnat de Chavagnes, émission à succès diffusée sur M6 en 2004, qui faisait, déjà, basculer un groupe de mineurs dans la France d’avant. Si l’ado que nous étions à l’époque s’en était régalée, comme de toute bouse télévisuelle qui passait par là il faut bien l’avouer, il était permis d’avoir quelques réserves quant au principe comme au contenu du programme. Avec l’Ecole à remonter le temps, la sixième chaîne montre qu’elle a su évoluer, abandonnant le problématique format de télé-réalité et s’adonnant à une lecture critique des mœurs d’antan. Les profs comme le chef d’établissement sortent régulièrement de leur rôle, enjoignant les élèves à débattre de ce qu’ils viennent de vivre et avouant à quel point ils sont mal à l’aise avec cette posture d’autorité.
Les cours de broderie et de menuiserie, eux, sont critiqués pour leur périmètre discriminant, pas pour ce qu’ils sont. Au contraire, jugent tant les élèves que les profs, ces leçons pourraient être un palliatif à notre société de l’hyperconsommation et une solution écolo. De fait, le candidat vert Yannick Jadot proposait, lors de la dernière campagne présidentielle, d’inclure ce type d’enseignement au collège. On ne sait pas bien ce que la France rance pensera de ce programme de divertissement, mais on se réjouit de voir que M6 a l’air de ne pas s’en soucier.