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«Temps d’échange sur l’antisémitisme» en classe : des précisions floues, les enseignants regrettent «l’improvisation»

Après le viol d’une fillette juive ce week-end à Courbevoie, Emmanuel Macron a demandé aux professeurs d’aborder le sujet avec leurs élèves. Mais à quelques jours de la fin des cours, la demande tombe comme un cheveu sur la soupe et sans tenir compte des enseignements déjà dispensés.
(Maskot/Getty Images)
publié le 20 juin 2024 à 18h12

La précision ne lève pas franchement le flou. Dans un courrier adressé aux directeurs d’école et aux principaux de collèges – il n’y a plus cours au lycée, en raison du bac – ce jeudi 20 juin, la ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet est revenue sur la demande formulée la veille par le Président, Emmanuel Macron, d’organiser un temps d’échange en classe sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Celui-ci «devra intervenir au moment le plus adapté au contexte de l’établissement d’ici à la fin de l’année scolaire» et «pourra s’appuyer sur des ressources pédagogiques qui seront mises à disposition» à partir de vendredi, a écrit Nicole Belloubet, à deux semaines de la fin officielle des cours. Les ressources en question seront une actualisation, au regard de l’actualité, de ce qui existe déjà, précise le ministère de l’Education nationale à Libération, notamment du vade-mecum «Agir contre le racisme et l’antisémitisme» daté de mars 2022.

Cette initiative a été lancée par le chef de l’Etat en réaction au viol d’une jeune fille juive de 12 ans à Courbevoie (Hauts-de-Seine), samedi 15 juin. Dès lors, «il conviendra également à [l’]occasion [de ces échanges] d’aborder la question des violences sexistes et sexuelles, qu’illustre malheureusement ce crime, a écrit la ministre. Les professeurs trouveront, comme toujours, les termes les plus adaptés à leurs élèves, en particulier selon leur âge».

«C’est encore une énième injonction qui tombe du plafond présidentiel, réagit auprès de Libé Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG). La lutte contre l’antisémitisme est une chose trop sérieuse pour faire ça avec de l’improvisation, c’est quelque chose qui se prépare.» D’autant que cette initiative «ne tient aucun compte de ce qu’on fait pendant l’année scolaire. Les collègues sont très agacés parce que la lutte contre l’antisémitisme est un travail régulier en histoire», ajoute l’enseignante. Dans le second degré, les élèves ont diverses occasions d’étudier le nazisme, la Shoah, les génocides et crimes de masse. Et nombre d’enseignants se sont saisis du sujet après le massacre du 7 octobre en Israël.

Une «instrumentalisation de l’école»

«Les enseignants traitent ces questions de racisme et d’antisémitisme avec leurs élèves, ils n’ont pas besoin qu’on leur demande de réagir à chaque drame, c’est très inquiétant qu’un Président s’immisce dans leur travail de cette façon. Il le fait dans un contexte de crise démocratique et d’élections» législatives, dénonce pour sa part Guislaine David, co-secrétaire générale de la FSU-Snuipp.

Pour sa part, Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa en charge du système éducatif et des conditions d’apprentissage, s’interroge «sur la manière d’aborder les choses avec les plus jeunes», en particulier sur les violences sexistes et sexuelles. «Ça voudrait dire leur expliquer ce qu’est un viol. A 7 ou 8 ans, c’est compliqué. On pourrait faire ce moment d’échange sans le rapprocher de l’actualité, mais certains enfants seront au courant» et pourraient en parler à toute la classe, contraignant l’enseignant à expliquer le contexte dans lequel la discussion est organisée. «Ça n’enlève pas l’horreur de la situation et la compassion qu’on a pour cette petite fille et sa famille», précise Jérôme Fournier, mais «l’instrumentalisation de l’école dans ce contexte de campagne électorale n’est pas forcément bienvenue».