Il n’y a pas qu’à Bétharram où la violence était systématique. A l’école catholique Notre-Dame-de-Garaison, à Monléon-Magnoac dans les Hautes-Pyrénées, les élèves étaient également soumis à des châtiments corporels d’une rare violence pendant des décennies, révèle une enquête de la cellule investigation de Radio France, ce jeudi 27 février. La plupart de ces témoignages évoquent des violences physiques, des brimades, un climat de peur mais pas de violences sexuelles commises par des adultes.
Philippe, un ancien pensionnaire de cette institution très réputée du Sud-Ouest, assure avoir eu le tympan crevé à cause d’une monumentale gifle infligée par le surveillant en chef, en 1987, rapporte Radio France, certificat médical à l’appui. «Les surveillants, qui étaient des élèves de terminale, avaient l’autorisation de frapper. […] C’était du dressage. La spécialité du surveillant général était de fouetter les élèves alignés avec un lacet en cuir tressé. Et parfois même, si ça ne suffisait pas, il nous faisait descendre l’hiver en pyjama faire des tours de la cour. Je me souviens d’un camarade qui avait pris 17 claques en une heure de cours». Selon lui, «tout le monde le savait». Bétharram et Garaison avaient la même réputation à l’époque.
«Il m’a attrapé la tête et m’a tapée de droite à gauche contre les murs»
Sur Facebook, Philippe a récemment créé le groupe «Collectif victimes NotreD-ame-de-Garaison», où d’anciens élèves de l’institution se manifestent aussitôt. Bien que les faits qu’ils dénoncent remontent à plusieurs décennies et sont pour la plupart prescrits, le nouveau collectif étudie les suites judiciaires possibles, explique Radio France.
Sophie (1), elle, reste choquée par une très violente agression de la part du surveillant en chef, lorsqu’elle n’avait que 13 ans. «Je suis arrivée devant le bureau, raconte-t-elle à Radio France. Quand il a ouvert la porte. Il m’a aussitôt frappée. Coups de pied. Coups de poing. Il m’a attrapé la tête et m’a tapée de droite à gauche contre les murs. Ça a duré assez longtemps. Après, je ne me rappelle plus trop ce qui s’est passé. Je n’ai pas de souvenir. J’ai un trou noir.»
Récit
Sa mère, à qui Sophie raconte tout, est finalement reçue par le directeur de l’époque qui lui propose de faire passer sa fille dans la classe supérieure si elle ne fait pas de vagues. Elle refuse et la change d’école. «Moi j’ai vu des gamins se faire péter le nez, se faire ouvrir les arcades sourcilières. J’ai vu le surveillant général avec ceinturon ou lacets en cuir frapper des petits. […] Les garçons ne méritaient pas d’avoir un pion qui les tapait avec des santiags pointues directement dans l’anus. C’est d’une violence absolue», témoigne encore Sophie.
«On a massacré des enfances»
Le collectif d’anciens de Notre-Dame-de-Garaison dit recevoir des témoignages allant de la fin des années 1970 jusqu’à la fin des années 1990. Henry (1), lui, a fréquenté le collège à la fin des années 1980. «Le problème, c’est qu’on a on a massacré des enfances. On a massacré des sensibilités. […] Un de mes camarades avec qui j’étais à Garaison m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : “Toi aussi quand tu en parles, on ne te croit pas ?”».
Comme plusieurs élèves contactés par Radio France, Henry décrit une sorte de rituel nocturne qui avait lieu dans le grand dortoir, où dormaient près de 80 enfants. Au moindre bruit, les lumières étaient rallumées, les enfants devaient se lever devant leur lit, mains dans le dos, et subir des gifles en série. Selon Henry, «l’institution, évidemment, savait». De son côté, Marc (1) se souvient d’un professeur de mathématiques qui lui avait mis une gifle si forte qu’il avait uriné. Ou de ce cadre de l’école qui s’en prenait régulièrement aux plus jeunes en les pinçant violemment jusqu’à les faire soulever de terre. «Il surveillait les douches mais cela ne m’a pas empêché d’y être agressé sexuellement par d’autres élèves plus grands», raconte-t-il.
Enquête
Fondée en 1841 non loin de Lourdes, Notre-Dame-de-Garaison est réputée dans la région pour son excellence, son respect de la tradition religieuse et sa discipline, explique Radio France. Son collège et son lycée sont toujours fréquentés par les fils et filles de la bourgeoisie régionale. L’école compte parmi ses anciens élèves des personnalités comme l’ex-sélectionneur du XV de France, Pierre Berbizier, ou l’ancien Premier ministre, Jean Castex, qui n’a pas souhaité réagir à ces témoignages.
Egalement sollicitée par Radio France, la direction du groupe scolaire n’a pas donné suite. Les services du procureur de la République de Pau disent ne pas avoir enregistré de plaintes pour violences physiques ou sexuelles sur mineurs concernant cet établissement et le parquet de Tarbes ne donne pas plus d’informations. En 2009, la cour d’assises des Hautes-Pyrénées a pourtant condamné à 12 ans de prison un ancien surveillant pour «viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et par personne ayant autorité», visant plusieurs enfants du collège.
(1) Les prénoms ont été modifiés.