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Libération
Reportage, épisode 2

Un an avec la section hip-hop d’un collège de Saint-Denis : «Porter le nom de ma ville, c’est un peu un fardeau»

Deuxième épisode de notre série sur les élèves de la section hip-hop du collège Federico-Garcia-Lorca. A lire : leurs réflexions sur leur avenir, leur envie d’ailleurs et les préjugés auxquels ils sont confrontés.
Vincent, professeur de SVT à Saint-Denis, le 23 novembre au collège Federico-Garcia-Lorca. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 9 décembre 2023 à 15h22

lls s’appellent Patricia, Melvyn ou Christy et ont entre 13 et 14 ans. Ils font partie de la section hip-hop du collège REP + Federico-Garcia-Lorca à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Ils sont entraînés par leur professeure d’EPS, Emilie Fritz, dont l’objectif est de les faire sortir de leur quartier. Libération suit la bande tout au long de l’année scolaire, pour raconter ces jeunes, leur quotidien, leurs doutes et leurs espoirs. Lire le premier épisode.

Elles se sont assises discrètement au troisième rang, l’une à côté de l’autre, comme toujours. Même pour les cours de sciences de la vie et de la terre et de physique-chimie, qui se déroulent ce matin-là l’un après l’autre, en demi-groupe. Avec son col roulé surmonté d’un collier de fausses perles blanches, Patricia n’a plus rien de la danseuse aux vêtements amples rencontrée pour la première fois en septembre. L’adolescente fait partie de la section hip-hop du collège Federico-Garcia-Lorca à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) qui offre aux jeunes de nouvelles perspectives pour leur avenir, tout en leur permettant de découvrir l’histoire de leur ville, l’un des foyers de la culture hip-hop en France il y a plus de trente ans.

«A Paris, les élèves ont un meilleur niveau»

Patricia se tient droite comme un piquet pour ne pas s’affaler. «Si je le pouvais, je dormirais», chuchote-t-elle en réprimant un bâillement. «En vrai», elle trouve «super intéressant» ce cours sur la génétique appliquée à l’échelle de la cellule dispensé par monsieur Lassagne. «Ça se voit qu’il aime enseigner, il nous transmet bien son savoir. Et c’est plus facile de suivre en demi-groupe parce qu’il y a moins de bruit qu’en classe entière, c’est moins brouillon», constate la sérieuse Elena dans un français quasi parfait. L’adolescente de 14 ans a gardé un léger accent de son pays natal, la Serbie, qu’elle a quitté il y a seulement quatre ans. A son arrivée à Saint-Denis, elle ne savait pas comment dire bonjour. Et a eu du mal à se faire aux bruits de la ville, après une première vie à la campagne, à une centaine de kilomètres de Belgrade. Ses parents évoquent en ce moment l’idée d’un retour. Ça lui dirait ? La Serbie lui manque mais, en même temps, sa vie est ici. Son avenir, elle l’imagine dans un lycée de la capitale. Elle vise Turgot l’année prochaine. Elle rêve d’intégrer la section sportive d’excellence de hip-hop de cet établissement coté au centre de Paris. Sinon, ce sera le prestigieux lycée Louis-le-Grand, en tant que boursière.

Pour espérer y arriver, elle veut collectionner les meilleures notes. Ou plutôt les bonnes couleurs. Au collège Federico-Garcia-Lorca, les élèves ont «rouge» quand leur copie n’est pas bonne, «vert plus» quand elle est excellente. Elena n’a que des «verts» et des «verts plus». Des résultats excellents, qu’elle minimise aussitôt : «A Paris, les élèves ont un meilleur niveau que nous, une meilleure discipline aussi.» Une certitude aussitôt balayée par Patricia : «Les élèves parisiens ont plus de chance parce qu’ils n’ont pas une mauvaise réputation comme nous. Les gens se disent qu’on n’est pas sérieux à Saint-Denis alors qu’on a le même niveau. On ne va pas se laisser couper notre chemin et nos rêves.» «C’est pas parce qu’on habite ici qu’on ne peut pas réussir», lance Yanis en se redressant fièrement. A 14 ans, l’élève au regard malicieux et à la moustache bien taillée, rêve de devenir footballeur professionnel comme Nabil Fekir qu’il admire. En attendant, il se sent «plutôt bien» dans son collège qu’il décrit pourtant comme une «caricature de la prison». Il pense à la cantine en disant ça. Ici, tout le monde dit qu’elle fout le cafard. «C’est bien l’école mais c’est un avant-goût de la vie, une première étape», estime Mohamed, pieds crochetés sur sa chaise : «Ici, on apprend les mêmes choses que tout le monde mais la différence c’est que quand t’habites en banlieue, les gens ont un regard bizarre sur toi.» «Je peux donner un exemple ? renchérit Yanis. La dernière fois, je suis allé dans un magasin et un gars m’a dit “me vole pas”, en rigolant. Alors que c’est vraiment pas drôle.»

«Le collège, c’est exigeant»

Derrière eux, l’optimiste Christy, qui fait partie de la section hip-hop avec Elena et Patricia. «Je pense avoir la même chance que n’importe quel enfant en France. Il faut juste travailler», assure l’ado qui accumule les dispositifs mis en place au collège, entre l’association sportive, la section hip-hop et le théâtre. La sonnerie retentit. Il est 12 h 30, Christy file dévorer son repas en dix minutes chrono avant de rejoindre la salle polyvalente pour répéter Antigone avec une quinzaine d’autres élèves, encadrés par deux profs de lettres et d’anglais. Christy se fond dans la peau d’Ismène avec facilité. «Les activités extrascolaires, ça me permet de garder la pêche, sinon je craquerais. Le collège, c’est plus exigeant que le primaire où c’était l’innocence.» Christy a retrouvé la pétillante Denisa, avec qui elle partage aussi les cours de hip-hop. Denisa est en quatrième et se donne à fond, dans toutes les matières : «Je m’y mets depuis la quatrième pour aller à Turgot, même si c’est grave compliqué d’y entrer.» Elle en est sûre, «à Paris, les élèves font moins d’embrouilles, ils cherchent moins à se faire remarquer». La collégienne ne veut surtout pas être cataloguée comme une jeune de Seine-Saint-Denis. «Porter le nom de ma ville, c’est un peu un fardeau», regrette celle qui sent un malaise à chaque fois qu’elle dit venir de Saint-Denis. «Ah ouais, c’est chaud», on lui répond souvent. Ça l’agace, parce qu’elle sait que sa ville a «plein de potentiel» : «Mais beaucoup ne le savent même pas.»