A 9 heures ce vendredi 12 janvier, la directrice – qui ne souhaite pas donner son identité – de l’école élémentaire Simone-Veil était convoquée au rectorat de l’académie de Toulouse pour avoir hébergé, en décembre, une famille à la rue dans son établissement, situé dans le quartier prioritaire du Mirail. Le collectif Jamais sans toit dans mon école, qui milite pour offrir aux enfants scolarisés et sans abri des solutions d’hébergement provisoire dans leurs écoles, était venu en soutien.
«Il lui a été demandé de se positionner pour savoir si elle avait ouvert les portes de l’école en tant que directrice. Elle a répondu non, que c’était en tant que membre du collectif. La convocation n’allait pas plus loin, indique Florent (1), enseignant et membre du collectif toulousain. On ne fait pas d’humanitaire, on se mobilise à titre personnel pour faire bouger les choses.» La directrice devrait recevoir un compte rendu dans les prochains jours. La possibilité d’une sanction, elle, reste encore très floue. Contacté à plusieurs reprises, le rectorat de l’académie de Toulouse n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Délit de solidarité
«C’est une intimidation pitoyable, s’insurge Juliette Murtin, l’une des porte-parole de l’association Jamais sans toit, qui se mobilise depuis des années à Lyon, et a inspiré des initiatives solidaires de ce genre partout en France. La conception de la fonction publique telle qu’elle a été pensée par la loi de 1983 consolide le statut de fonctionnaire “citoyen” qui rompt avec celui de fonctionnaire “sujet”. Elle fait de la responsabilité la valeur cardinale en opposition à la simple obéissance. Il est de notre responsabilité de mettre ces enfants en sécurité. C’est important de le rappeler.» Pour Florent, peu importent les pressions, s’engager pour apporter un toit à ces familles à la rue était une évidence : «Même si c’est illégal, je le fais. Ça se passe en dehors de mon temps de travail, donc je n’ai pas de comptes à rendre à mon employeur.»
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C’est le 20 novembre qu’est prise la décision de réquisitionner certaines écoles toulousaines pour les transformer, la nuit, en dortoirs éphémères. Offrir un toit pour que les élèves puissent continuer d’aller à l’école dans des conditions dignes. «On s’est saisi de la journée internationale des droits de l’enfant pour démarrer, c’était symbolique. D’abord, il y a eu deux écoles réquisitionnées, puis ça s’est enchaîné», témoigne l’enseignant. Le collectif se crée dans la foulée. Au total, sept écoles ont été réquisitionnées depuis le 20 novembre. «Suite aux premières occupations, des pressions politiques ont été mises sur le 115 pour que les familles soient relogées. Mais pas question d’arrêter tant que tout le monde n’est pas à l’abri.» Depuis le 10 janvier, deux familles sont hébergées dans les classes de l’école Michoun au nord de Toulouse.
Ecole le jour, dortoir la nuit
Pour leur offrir un «hébergement inconditionnel», c’est toute une logistique qui se met en place. Les enseignants et parents d’élèves se relaient pour dormir sur place avec les familles, assurer les soins et préparer à manger. Dans chaque école réquisitionnée, des cagnottes s’organisent. «Il y a une solidarité très importante. De nombreux parents d’élèves et enseignants financent la cagnotte. Ce qui a permis, à Noël, de pouvoir louer des Airbnb aux familles car les écoles étaient fermées.»
Afin de ne pas entraver le temps des cours, les équipes attendent la fin des activités du centre de loisir, à 18 h 30, pour commencer la tambouille et déplier les lits de camp. «Le matin, on quitte les lieux à 7 h 30. Notre but n’est pas de bloquer le fonctionnement des écoles, c’est quand même notre outil de travail», assure Florent. Si certaines familles ont pu trouver une solution d’hébergement grâce au Samu social, plus de 300 enfants seraient toujours à la rue en Haute-Garonne selon le collectif.
Fin novembre, le maire (ex LR) de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, justifiait sa décision d’enclencher des procédures d’expulsion par une «une situation d’insécurité» dans ces écoles. «Sincèrement, où est l’insécurité ? s’indigne Juliette Murtin. Est-ce que ce n’est pas plutôt de laisser de pauvres gamins dormir dehors sous la neige ?»
(1) Le prénom a été changé.