A l’Université de Paris-Nanterre (Hauts-de-Seine), le ronronnement des machines à café a remplacé le brouhaha des étudiants. Au deuxième étage du bâtiment Simone Veil, qui héberge la faculté de droit, la plupart des salles sont vides. Celle réservée aux séances de tutorat ne fait pas exception. Chaque année, une centaine d’étudiants de master 1 et 2 sont engagés par l’université pour aider leurs camarades de licence dans leurs devoirs. Avec les restrictions sanitaires, les séances se tiennent en visio et seules quelques centaines d’élèves (sur les 34 000 que compte la fac) ont repris, une semaine sur deux, le chemin des amphithéâtres depuis février. Pour les accompagner, le gouvernement a annoncé le 26 novembre le renforcement du tutorat par un dispositif Covid. A la clef, 20 000 contrats étudiants de trois heures hebdomadaires et plusieurs millions investis jusqu’au 30 avril 2021. En Ile-de-France, ce sont 3 400 000 qui y sont dédiés.
Ce nouveau programme permet aux étudiants de licence 1, et désormais de licence 2, de bénéficier gratuitement de davantage d’heures de soutien méthodologique et psychologique, dispensées par des étudiants tuteurs payés 16 euros de l’heure et formés par l’université. Malgré les efforts déployés depuis janvier par les 180 tuteurs de Paris-Nanterre et les bonnes intentions des équipes pédagogiques, le dispositif passe à côté de sa cible : les élèves en difficulté ne se tournent que rarement vers les tuteurs en cas de besoin. Pris par le temps et dépassés par la situation sanitaire, rares sont les étudiants qui assistent aux séances à revenir, à l’image d’Eva, 19 ans, en première année de licence de droit. Si elle assiste parfois à une séance, «histoire de se rassurer et poser quelques questions sur les cours», elle n’envisage pas de «se contraindre à des séances régulières».
«Je n’ai pas l’impression de servir à grand-chose»
Florent Barret, professeur de mathématiques et responsable de la coordination du tutorat Covid de l’université des Hauts-de-Seine, était pourtant «enthousiaste» lors du lancement en novembre. Alors que 70 000 euros sont d’habitude alloués chaque année au tutorat à Paris-Nanterre, ce sont 300 000 euros qui ont été débloqués par le ministère de l’Enseignement supérieur pour ce nouveau projet. Mais avec la contrainte du distanciel, impossible de «mettre à profit cette dotation», indique le coordinateur, qui estime qu’une petite moitié des fonds seulement pourra être dépensée, entre les salaires et la formation des tuteurs, sans savoir ce qu’il adviendra de la somme restante.
Gautier, en Master 2 de droit, est tuteur depuis 2019 et fait partie des étudiants recrutés par l’université pour le programme Covid. Cumulant deux contrats de trois heures par semaine, l’un pour le tutorat habituel, l’autre pour le nouveau dispositif, il aide une poignée d’élèves mais voudrait pouvoir «faire plus». Etre tuteur Covid se révèle souvent «frustrant», rapporte lui aussi Charles, étudiant en Master 2 de droit pénal. «Il faut gérer notre propre pression et accompagner des jeunes souvent perdus. On aime transmettre, mais parfois c’est décourageant, surtout quand seulement une ou deux personnes viennent aux séances», déplore l’aspirant avocat.
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Céline Chassang et François Desprez, coordinateurs du programme à l’échelle de l’unité de droit de la fac des Hauts-de-Seine, peinent à évaluer les effets concrets du dispositif. «Nous communiquons au maximum, sans que cela ait d’impact sur la fréquentation des séances», regrette Céline Chassang. Les tuteurs, eux aussi, essaient d’attirer du monde et de fidéliser les tutorés, souvent en vain. «Mes heures de tutorat d’accompagnement, où les étudiants peuvent se confier sur leurs inquiétudes, se transforment en aide au devoir bis. A chaque fois, je demande si ça va, mais je n’ai pas l’impression de servir à grand-chose», résume Charles.
«Trop court pour produire des effets»
Côté bénéficiaires, le tutorat Covid, lorsqu’il n’est pas méconnu, est rarement envisagé comme une solution. Karen, 19 ans, étudiante en deuxième année de licence d’économie, se sent «débordée», alors elle doit faire des choix. «Je privilégie les matières importantes, je ne prends pas le temps de suivre un programme d’accompagnement en plus», souligne la jeune femme. Un constat partagé par ses camarades de promo, qui soutiennent l’initiative mais s’arrêtent aux mails d’informations qu’ils reçoivent. «Ceux qui viennent sont souvent des habitués, des étudiants de deuxième année de licence qui suivaient déjà le tutorat classique l’année précédente», remarque Gautier.
A Paris, sur le campus Pierre et Marie Curie de la Sorbonne, le programme, dont le coût s’élève à 340 000 euros, est aussi encore balbutiant et les étudiants désertent, eux aussi, les séances de tutorat. Emilie, 18 ans, est en première année de physique-chimie. «Epuisée» par le distanciel, elle rattrape tous ses cours lors de sa semaine à l’Université. «J’ai du retard mais je n’arrive pas à me décider à demander de l’aide», reconnaît l’étudiante. Pour son amie Swan, 18 ans également, c’est aussi une question d’arbitrage. «On voit à peine nos amis de la fac, alors quand on est en présentiel, on fait une croix sur des heures supplémentaires», tranche la jeune fille.
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A quelques semaines de la fin du programme, Florent Barret, le prof de maths de Paris-Nanterre, dresse un bilan mitigé : «Les expériences diffèrent selon les unités mais quatre mois, c’est trop court pour produire des effets sur une génération si touchée. Cette mesure était nécessaire mais il s’agit davantage d’un pansement que d’un véritable remède.» Face aux difficultés persistantes des étudiants, le programme sera-t-il reconduit pour les semestres suivants ? Sollicité, le cabinet du ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas donné suite.