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Violences à l’école : que contiennent les questionnaires aux élèves de l’Education nationale ?

Affaire Notre-Dame de Bétharramdossier
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Des questionnaires destinés à faire remonter d’éventuels faits de violences vont être distribués en juin dans plusieurs établissements tests. «Libération» fait le point sur cette mesure vouée à être généralisée à la rentrée 2025.
Des élèves de primaire regardent des affiches expliquant qu'il ne faut pas se taire face au harcèlement. (Jean-Francois Fort/Hans Lucas. AFP)
publié le 23 avril 2025 à 18h06

«Les adultes qui t’accompagnaient se sont-ils bien occupés de toi ?» «Est-ce que quelqu’un a voulu toucher des parties de ton corps sans que tu sois d’accord ?» «Estimez-vous que votre intimité est suffisamment respectée à l’internant ?»

Telles sont les questions que l’on retrouve dans les questionnaires du ministère de l’Education nationale qui s’apprêtent à être envoyés, en juin, à plusieurs écoliers, collégiens ou lycéens français. Trois versions ont été pensées par les services du ministère. La première sera à destination des écoliers du premier degré qui reviennent de voyage scolaire. La deuxième a été prévue pour des élèves de collège et lycée ayant effectué un voyage scolaire. Le troisième et dernier questionnaire est dédié aux élèves internes du second degré.

Cette démarche s’inscrit dans le plan lancé par la ministre de l’Education nationale, Élisabeth Borne, dans la foulée des révélations sur les violences physiques et sexuelles perpétrées pendant des décennies dans plusieurs établissements scolaires catholiques, au premier rang desquels Notre-Dame de Bétharram. Avec un objectif : généraliser ces questionnaires dans le public et dans le privé sous contrat dès la rentrée de septembre prochain.

«Le recueil de la parole doit être systématisé dans les lieux où les élèves peuvent être les plus vulnérables. Les élèves en internat auront accès à des questionnaires anonymes en ligne à chaque trimestre», promet le communiqué du ministère de l’Education nationale partagé lundi 21 avril. «On a eu connaissance d’incidents qui ont pu se passer dans des voyages scolaires […] Il faut qu’on se donne tous les moyens de recueillir» la parole des éventuelles victimes, a argumenté Élisabeth Borne lundi sur Franceinfo, sans donner davantage de détails sur l’organisation concrète de ces questionnaires.

«Arrêtons d’être en silos»

Un premier pas nécessaire mais dont la mise en œuvre interroge les professionnels du secteur. Ni les associations de protection de l’enfance ni les organisations syndicales n’ont été consultées pour la rédaction de ces questionnaires test.

Présidente de l’association La Voix de l’Enfant, Martine Brousse s’est étonnée ce mercredi 23 avril, au micro de Franceinfo, que «les associations de protection de l’enfant» aient été laissées sur la touche pour l’élaboration des questionnaires. «Rapprochez-vous de Madame Vautrin, notre ministre de la Santé qui pourrait faire un travail. Rapprochez-vous de nos associations pour qu’on travaille ensemble. Arrêtons d’être en silos», a fustigé la présidente de La Voix de l’Enfant, déplorant des questions fermées alors que les professionnels de l’enfance préconisent l’emploi de questions ouvertes pour évoquer les violences dans le milieu scolaire.

Même amertume côté syndicats. Interrogée par Libération, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU dit «regretter que le ministère ait lancé cette expérimentation sans prendre le temps de discuter». Elle estime par ailleurs que ce sujet «très sensible» ne rentre pas forcément dans les cases d’un questionnaire. «Betharram l’a montré. On est face à un phénomène d’ampleur. On est plusieurs à employer l’expression de «metoo scolaire». Alors il faut amorcer la prise en compte de la parole des victimes. Mais ce premier outil ne peut pas se suffire à lui-même.»

Pour la secrétaire générale du SNES-FSU, il «manque une démarche d’ensemble» pour accompagner ce questionnaire. «Mettre des mots sur des faits, désigner des personnes ne serait-ce que par leur fonction… Lorsqu’on a été victime, c’est revivre un traumatisme. Il faut de la prévention, de l’écoute et pouvoir dire à l’élève qu’il y a peut-être des choses qu’il ne veut pas écrire mais préfère raconter. Il faut pouvoir lui expliquer comment il sera accompagné après avoir rempli le questionnaire, pour qu’il soit dans un climat de confiance.»

Une réunion prévue mercredi 30 avril au ministère avec les organisations syndicales

Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU, regrette de son côté auprès de Libé que le questionnaire «s’adresse de la même manière à des élèves de 6 ans qu’à ceux de 10 ans». «Un élève de six ans est plus sur un ressenti à l’instant T. La vision des choses n’est pas la même selon ces deux âges. Ne pas voir la différence de ressenti chez des enfants est toujours problématique», remarque-t-elle.

Enfin, les associations et organisations syndicales regrettent le recours à l’anonymat. «Cette problématique avait déjà été soulevée au moment de la mise en place des questionnaires autour du harcèlement scolaire par Gabriel Attal, fait savoir Guislaine David. Comment porter secours à un enfant victime de violence si on ne sait pas quel élève a rempli le questionnaire ? L’enseignant ne peut rien faire.»

Une réunion est prévue mercredi 30 avril entre le ministère de l’Education nationale et les organisations syndicales pour discuter de cette mesure. Un premier bilan doit être réalisé après la phase d’expérimentation.