Un pénis dessiné sur l’écran, des bruits de film pornographique qui se superposent aux propos du conférencier. Les séminaires de recherche en ligne sont parfois interrompus par la pratique dite du «zoombombing», soit la perturbation d’une téléconférence par des sons incongrus voire choquants.
Le phénomène a commencé aux Etats-Unis au début de la crise du Covid et perdure aujourd’hui. Souvent, l’attaque est lancée par la publication du lien de connexion sur des forums ou un réseau social. Des chercheurs américains ont analysé 200 appels au «zoombombing» durant le premier semestre 2020. Ils concluent que «la grande majorité» d’entre eux ne proviennent pas de pirates mais bien d’invités légitimes à la réunion, typiquement des étudiants qui s’ennuient en cours. Une pratique potache donc, mais qui peut vite tourner au racisme et au sexisme, comme le montrent des exemples récents.
Vendredi 11 juin, l’anthropologue Emir Mahieddin assistait à l’atelier préparatoire au colloque «Construire et déconstruire les sciences sociales : les défis du religieux». Les propos de sa collègue, Sepideh Parsapajouh, co-organisatrice de l’évènement sont alors interrompus par des bruits, puis un distinct : «Y en a marre des Arabes !» Le chercheur s’en émeut sur Twitter et Facebook. Assez rapidement, des témoignages similaires affluent.
🛑Racisme en France.
— Emir Mahieddin - امير محي الدين (@eMahieddin) June 11, 2021
Cet après-midi, une rencontre universitaire en ligne sabotée au son de "Y'en a marre des Arabes!".
Bienvenue dans la France des années 2020!
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«Déconcertant»
Libération a recontacté ces témoins. Des propos «sexistes» ont ainsi interrompu un colloque sur l’éthique dans la recherche début 2021. En avril, l’intervention d’une chercheuse sur la religion en Russie a été entrecoupée de «propos sexistes» et de dessins de pénis visibles par tous les participants.
Les thèmes des conférences et la teneur des insultes donnent une idée des opinions politiques des auteurs de ces faits, généralement très à droite. Ainsi une conférence sur les «études africaines» organisée par l’Institute for humanities in Africa basé en Afrique du Sud, a été interrompue par des insultes racistes le 10 juin, rapporte à Libération l’anthropologue Alice Aterianus-Owanga. «Les participants avaient l’air assez choqués. Le surgissement d’insultes racistes et d’images sexistes dans ce genre d’événements qui essaient de réfléchir à des manières de décoloniser (ou décentrer) les savoirs en sciences sociales, est forcément déconcertant», témoigne-t-elle. En novembre 2020, c’est un colloque en visio à l’occasion des 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes, qui a vu son chat de discussion inondé de «Heil Hitler».
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Ces cas interviennent alors que le climat est particulièrement lourd dans le milieu universitaire. En France, le président Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres, Jean-Michel Blanquer (Education) Frédérique Vidal (Recherche) ont notamment fustigé l’islamo-gauchisme qui gangrènerait l’université. Le 22 juin, l’Assemblée nationale était le théâtre d’un échange véhément entre le député LR Julien Aubert et Jean-Michel Blanquer sur les «idées décoloniales» et la «culture woke» à l’université.
L’idéologie "Woke" à l’université : "La pensée républicaine doit être consciente du danger représenter par ce différentialisme qui cherche à opposer les gens notamment par la race (...) c'est un nouveau MacCarthysme, une police de la pensée", dénonce @jmblanquer. #DirectAN #QAG pic.twitter.com/AJ6W4J4r2p
— LCP (@LCP) June 22, 2021
Les chercheurs des disciplines concernées ne sont pas sereins. En Suède, où Emir Mahieddin a travaillé, «les seuls laboratoires dont la porte était sécurisée étaient ceux qui traitaient de racisme et de religion, parce que des collègues avaient reçu des menaces». Au Danemark, ce sont 262 chercheurs spécialisés dans les études de genre et les études migratoires qui ont publié une lettre ouverte qui se disent «intimidés et harcelés, à un niveau conduisant certains à se mettre en arrêt maladie».
Pour ce qui est des réunions virtuelles perturbées, la situation a été résolue en ouvrant une nouvelle réunion et en n’envoyant le lien qu’à un cercle restreint de personnes. Le 4 mars, Zoom a publié un article sur son blog pour expliquer comment gérer certaines caractéristiques, comme la salle d’attente ou le partage d’écran afin d’éviter ce genre de perturbation. Le premier conseil réside dans le fait d’éviter de publier en clair, quand c’est possible, l’adresse de connexion sur le site du laboratoire ou sur un réseau social. Mais cela signifie parfois devoir restreindre l’accès à des débats conçus pour être publics.