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Bien-être animal

Elevage intensif : les usines à saumons se fraient un chemin en France

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Une ONG dénonce trois projets de fermes usines de saumons menés en Gironde, dans le Pas-de-Calais et en Bretagne. Ces projets en bassins, qui soumettent les poissons à une très forte densité, s’inscrivent dans un contexte d’importations massives.
Comme ici à Dubaï en octobre 2019, les fermes piscicoles pointent le bout de leur nez en France. (GIUSEPPE CACACE/Photo GIUSEPPE CACACE. AFP)
par Sarah Finger, correspondante à Montpellier
publié le 2 avril 2024 à 6h00

Rien à voir avec un poisson d’avril. L’association Welfarm, qui œuvre pour améliorer les conditions d’élevage des animaux, lance une campagne, ce mardi 2 avril, contre trois projets d’aquaculture qui pourraient, à terme, produire 27 000 tonnes de saumons par an, soit entre 8 000 et 10 000 tonnes chacun. Selon l’association, le dossier le plus avancé est mené dans le Pas-de-Calais par Local Océan France : cette entreprise veut construire son installation industrielle dans le centre de pêche commerciale du Portel, à Boulogne-sur-Mer. Les deux autres projets sont pilotés par des sociétés étrangères : Smart Salmon, entreprise norvégienne, compte implanter sa ferme salmonicole à Plouisy (Côtes-d’Armor) ; les travaux sont prévus pour débuter pour 2025. La société Pure Salmon, liée à 8F Asset Management, un fonds d’investissement singapourien, lorgne quant à elle sur Le Verdon-sur-Mer, en Gironde ; l’entreprise dit vouloir investir 275 millions d’euros sur ce site.

Dans les communes concernées, des collectifs locaux s’opposent à ces projets. «Ceux-ci reposent sur des exploitations aquacoles en circuit fermé. Autrement dit, la totalité du cycle d’élevage des saumons s’effectue dans d’immenses bassins. Les élever en mer, dans des cages, est en effet quasi impossible en France car nos eaux ne sont pas assez froides», explique Gautier Riberolles, chargé d’études en bien-être animal à Welfarm. Ce système de production à terre entraînant des coûts élevés, de tels élevages gagnent en rentabilité grâce à une densité de peuplement particulièrement forte. «Cette densité se mesure en nombre de kilos de saumon par mètres cubes d’eau, détaille Gautier Riberolles. Welfarm préconise de ne pas dépasser 25 kg /m³. Or, dans ce système d’aquaculture en circuit fermé, la densité atteint généralement 40 ou 50 kg /m³, voire le double. Le problème, c’est qu’aucune réglementation française ou européenne ne limite ces densités.»

«Station d’épuration»

A cet entassement infligé aux saumons s’ajoute une vulnérabilité accrue. «Leur survie dépendant du bon fonctionnement des systèmes d’assainissement et de filtration de l’eau, tout problème peut entraîner une mortalité de masse, poursuit Gautier Riberolles. Ce fut le cas en 2021, à Miami, pour l’entreprise Atlantic Sapphire ; la défaillance du système de filtration a entraîné la mort d’un demi-million de saumons.»

Tandis que les porteurs de projets mettent en avant leurs atouts écolos, notamment l’utilisation d’énergies renouvelables ou l’intérêt de circuits courts, Welfarm pointe les impacts environnementaux de telles fermes usines : «Nourrir des millions de poissons carnivores destinés à la consommation humaine implique de produire des huiles et des farines de poisson. Pour y parvenir, en 2020, 16 millions de tonnes de poissons et autres animaux aquatiques ont été pêchés, soit 17,7% du volume des captures de la pêche mondiale, selon l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.» L’ONG pointe également le problème de la gestion des effluents. Une étude sur la pisciculture en circuit fermé, publiée en 2019 par l’Institut national FranceAgrimer, souligne en effet que «traiter les effluents d’une production de 10 000 tonnes de saumons sur la seule base de l’azote et du phosphore produits nécessite une station d’épuration dimensionnée pour 60 000 à 100 000 équivalents habitants». Welfarm demande donc un moratoire sur ces trois projets, en espérant que ce système d’élevage intensif en circuit fermé, déjà répandu en Norvège, aux USA, au Canada, en Chine ou au Japon, ne se développe pas en France.

99% d’importations

On peut en douter. Car notre appétit pour le saumon a de quoi aiguiser celui des industriels : frais, fumé, surgelé ou tartinable, le saumon est, avec le cabillaud, l’espèce la plus consommée. Selon les chiffres de FranceAgrimer, un ménage sur deux en achète, et chaque Français en consomme en moyenne 2,7 kg par an. Le succès du saumon frais, dont on vante depuis des décennies les qualités nutritionnelles, s’est encore accentué dans l’ère post-Covid. Frais ou fumé, cet approvisionnement provient à 98% d’élevages.

Mais avec seulement 2 entreprises normandes spécialisées, la production française reste extrêmement limitée : pour satisfaire son marché intérieur, la France dépend à plus de 99% des importations. Le saumon frais provient notamment de Norvège et du Royaume-Uni. Le saumon fumé arrive aussi d’Angleterre, mais surtout de Pologne. Dans ce contexte d’importation massive, la carte de la souveraineté alimentaire risque fort de constituer l’atout maître des industriels.