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Libération
Disparition

Elie Buzyn, l’un des derniers grands témoins français d’Auschwitz, est mort

Déporté depuis la Pologne, Elie Buzyn, père de l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est employé à transmettre la mémoire de la Shoah. Il appelait les jeunes à être «des témoins des témoins». Il est mort, lundi matin 23 mai, à 93 ans.
Elie Buzyn, en 2015. (Lionel Bonaventure/AFP)
publié le 23 mai 2022 à 15h18

Longtemps, comme beaucoup de rescapés des camps, il s’est tu et n’a pas voulu retourner à Auschwitz. Puis Elie Buzyn, mort lundi 23 mai à l’âge de 93 ans, s’est employé à transmettre la mémoire de la Shoah, appelant les jeunes à être «des témoins des témoins».

«Il est décédé ce matin. Il était entouré de sa famille, a déclaré sa fille, Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé. Il a fait un malaise hier [dimanche] soir juste après une conférence de témoignages, où il était avec des jeunes pour passer le relais. Une conférence qui a été très émouvante, très bouleversante, qui l’a beaucoup touché.»

Avec ses compagnons survivants de l’horreur, «épaves humaines dont on disait qu’elles allaient mettre vingt ans à mourir», ce médecin né le 7 janvier 1929 s’était fait une promesse : «Tenir tant qu’on peut.» Elie Buzyn fera enlever chirurgicalement son tatouage de déporté, comme pour effacer ce traumatisme de sa mémoire : «Vous ne pouvez pas vivre si vous vivez avec ça tous les jours.»

Témoigner, il y est parvenu au-delà de toute espérance, après avoir vécu plusieurs vies et survécu à plusieurs morts. D’abord celle de son frère Avram, fusillé en mars 1940 par les nazis pour dissuader toute tentative de fuite du ghetto juif de Lodz (Pologne), où la famille Buzyn avait été parquée. Un voyage en wagons à bestiaux dans la chaleur de l’été 1944, suivie de l’arrivée sur les quais de tri du camp d’extermination de Birkenau (Auschwitz-II).

L’errance avant la France

«Quelques déportés nous recevaient. Je leur dois la survie. J’avais 15 ans. Ils m’ont lancé : “Dis que tu as 17-18 ans.” Le SS m’a regardé, visiblement il ne m’a pas cru. Il m’a donné un coup de poing dans la poitrine pour éprouver ma résistance, je ne suis pas tombé.» L’adolescent est jugé apte au travail forcé. Plus tard, «en 30 secondes», il a «su ce qui s’était passé» pour ses parents, assassinés dans les chambres à gaz.

Le 18 janvier 1945, devant la progression de l’Armée rouge, on lui intime l’ordre d’évacuer Auschwitz par une de ces «marches de la mort» où tout signe de défaillance est puni d’une balle dans la nuque. Après trois jours et deux nuits, les déplacés sont entassés dans un train vers Buchenwald. Elie y demeure jusqu’en avril 1945 parmi 900 orphelins. «Nous qui venions d’Europe de l’Est ne voulions pas retourner chez nous. Nous savions que nous n’y avions plus rien.»

Confié parmi des centaines d’adolescents à l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) en France, importante organisation juive dont il sera plus tard un pilier, Elie Buzyn fera bien des détours avant de revenir s’installer à Paris : sept ans dans une Palestine encore sous mandat britannique puis érigée en Etat d’Israël, un nouveau passage dans l’Hexagone sans succès pendant ses études, deux ans dans un collège d’Oran (Algérie)…

En 1956, c’est le retour définitif en France, où il deviendra chirurgien orthopédique et épousera une psychanalyste de renom, Etty Buzyn (née Wrobel), spécialiste de la petite enfance.

Un demi-siècle après le génocide, son fils âgé d’une vingtaine d’années lui dit : «Je veux aller à Auschwitz voir où mes grands-parents paternels ont disparu. Je comprends que ce soit trop dur pour toi. J’irai seul, avec un groupe.» «Dans la minute je lui ai dit : “Si quelqu’un doit t’accompagner, c’est moi”», confiait le Dr Buzyn.

Dès lors, il a considéré comme «un devoir» que de témoigner dans les écoles et à Auschwitz, avec les groupes conduits chaque année par le grand rabbin de France Haïm Korsia. Elie Buzyn y a emmené ses enfants, et plusieurs de ses huit petits-enfants, quand ils avaient passé l’âge de quinze ans. Il demeurait convaincu que tous ceux qu’il avait aidés à approcher l’horreur des camps allaient «devenir à leur tour des témoins. Des témoins des témoins.»