Bastia va prendre une douche. Ses rues sont encore détrempées de la veille et vu les nuages toujours colère dans le ciel ce dimanche matin, elles ne devraient pas sécher à temps pour la manifestation organisée cet après-midi par les syndicats étudiants, soutenus par plusieurs mouvements nationalistes. Après une semaine de tensions et de tentatives d’apaisement venues de Paris, toute la Corse s’est donné rendez-vous dans la cité du nord de l’île, siège de la préfecture devant laquelle le cortège devrait finalement marquer le pas. Le départ, lui, sera donné à 15 heures devant le palais de justice, pour tracer le lien entre les deux symboles au cœur des revendications posées collectivement par les organisateurs : «Justice et vérité» pour Yvan Colonna, toujours dans le coma après la tentative d’assassinat survenue à la prison d’Arles, liberté pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, les deux autres membres du «commando Erignac» condamnés à la perpétuité, et ouverture d’un dialogue politique avec l’Etat sur l’avenir du territoire, préalables à l’apaisement des tensions qui secouent l’île depuis dix jours.
Billet
L’Etat a pris les devants en annonçant, vendredi, la levée du statut de détenu particulièrement surveillé de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, nécessaire à leur transfert potentiel de la prison de Poissy (Yvelines) vers une prison en Corse. Une concession bien tardive, a nuancé Eric Barbolosi, l’avocat de Pierre Alessandri : «C’est malheureux qu’il ait fallu un drame d’une telle ampleur et surtout de telles conséquences pour que finalement l’Etat français se décide à appliquer le droit. Aujourd’hui en Corse, la rivière est en crue et cette décision, à mon sens, ne suffira pas à la faire rentrer dans son lit.»
Autre signal d’apaisement envoyé par Matignon pour calmer les esprits : la désignation du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour ouvrir le dialogue «avec les élus et forces vives» de l’île sur l’«évolution du statut de la collectivité de Corse», sujet largement évité sous la présidence Macron et réanimé par la colère populaire après l’agression de Colonna. Pour Gilles Simeoni, le président autonomiste du Conseil exécutif de Corse, «il est indispensable que le gouvernement et l’Etat donnent des signes publics, forts et immédiats» en ouvrant ce «cycle politique nouveau, basé sur le respect du suffrage universel et de la légitimité démocratique». Histoire de rappeler au continent que les nationalistes, au pouvoir depuis 2015, ont encore très largement remporté les régionales (avec près de 70% des votes) en juin…
Calme avant la tempête ?
Si les élus sont impatients de discuter, côté «forces vives», particulièrement chez les jeunes, très moteurs dans les mouvements de ces derniers jours, la mobilisation de ce dimanche aura pour enjeu de poser le rapport de force avec l’Etat. Malgré les gestes venus de Paris, la défiance reste tenace, même si la tension est un peu retombée dans les manifestations de cette fin de semaine. Vendredi soir, à Bastia, une cinquantaine de jeunes ont traîné après la fin du cortège devant la préfecture, s’opposant aux forces de l’ordre. Trois personnes ont été interpellées avant un rapide retour au calme. Dans l’après-midi, d’autres avaient tenté de s’introduire dans la caserne de gendarmerie de Porto-Vecchio, causant des dégâts matériels alentour sans faire de blessés. Samedi après-midi, alors qu’Ajaccio accueillait l’équipe de Bastia pour un derby de Ligue 2, les supporteurs ont simplement déroulé quelques banderoles, l’une affichant «Ghjustizia è verità pà Yvan Colonna» («Justice et vérité pour Yvan Colonna»). Surtout, pour la première fois depuis dix jours, il n’y a pas eu de rassemblement samedi soir dans les grandes villes de Corse.
Le calme avant la tempête de ce dimanche? Le week-end dernier, un précédent rassemblement avait réuni à Corte quelque 10 000 personnes (4 500 selon la police), une mobilisation sans précédent bien au-delà des cercles nationalistes. Mais des incidents avaient éclaté en toute fin de cortège, laissant craindre une réplique pour ce dimanche. La famille d’Yvan Colonna avait d’ailleurs exprimé ses réticences cette semaine dans une lettre, craignant «un nouveau drame». En prévision d’une foule annoncée dense, la préfecture a interdit la circulation et le stationnement dans plusieurs rues du centre-ville de Bastia, des itinéraires de bus ont été modifiés et certains trains supprimés par «sécurité». Sur les réseaux sociaux, deux affiches appelant à la manifestation ont largement circulé. L’une d’elles maintient le slogan scandé depuis dix jours déjà par la jeunesse dans la rue: «Statu Francese Assassinu» («Etat français assassin»).