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En Seine-Saint-Denis, le vote croissant pour le Rassemblement national, raconté en trois épisodes

Resté longtemps planqué et honteux dans le département francilien, le choix de l’extrême droite y progresse à chaque scrutin. Pour comprendre ce phénomène, «Libération» est allé à la rencontre d’électeurs séquano-dionysiens de Jordan Bardella entre les européennes et les législatives.
Nicolas a découvert le président du Rassemblement national «par hasard» sur les réseaux sociaux. (Chloé Wary/Libération)
publié le 16 juillet 2024 à 7h17

A une époque encore récente, les électeurs du Rassemblement national étaient invisibles dans certains coins du pays. En Seine-Saint-Denis, par exemple, Jean-Marie Le Pen, sa fille et la droite extrême, ont toujours eu des voix. Des électeurs discrets. Ils étaient rares les partisans du Front national à afficher la couleur. Un vote planqué derrière les rideaux ; honteux. Les temps changent. Les ambitions aussi. L’extrême droite a cartonné aux européennes. Le parti de Marine Le Pen était proche du pouvoir après la dissolution annoncée par le président de la République. Un mois de juin flippant.

Le Rassemblement national est présent dans tout le pays. Une tache d’huile. En Seine-Saint-Denis, toujours, Jordan Bardella a obtenu 16,9 % des suffrages dans le département aux européennes. Il a même fini en tête dans certaines villes, où règnent les zones pavillonnaires, comme au Raincy, à Gagny et à Villemomble. Les électeurs ne se cachent plus. Ils annoncent la couleur de leur bulletin. Ils assument. La honte est en voie de disparition. Nous sommes allés à la rencontre des électeurs de Jordan Bardella dans le 93 tout au long du mois de juin mais aussi de leur entourage plus ou moins lointain. Nous en avons tiré une série en trois épisodes.

Moussa et Sandrine : «Ma voisine de palier a voté Bardella»

Comment tu réagis lorsque ta voisine de palier te lâche dans le couloir son vote à l’extrême droite ? Le dialogue est-il possible ? Comment se comprendre ? Moussa est toujours en lien avec Sandrine. Il dit que sa voisine est géniale. Elle dit la même chose de lui. Pourquoi alors ? Moussa dit seulement : «C’est vraiment une dame qui est très gentille, mais je vais quand même lui dire que ce n’est pas bien de voter pour des racistes.» Sandrine, elle, cause de sa colère contre les politiques, la gauche et le président de la République actuel. «La première fois, en 2017, j’ai eu honte de voter pour Marine Le Pen. Je suis rentrée en baissant la tête, c’était difficile dans l’isoloir, mais ça allait mieux après quelques mois de Macron au pouvoir.»

Nicolas, 22 ans : «Bardella, je l’ai tout de suite bien aimé»

La tête de gondole du Rassemblement national, Jordan Bardella, est originaire, lui aussi, du 93. Il a vécu à la cité Gabriel-Péri, à Saint-Denis, avec sa mère. De son enfance, le postulant à Matignon en a fait un récit qui fait battre le cœur de quelques jeunes des alentours. Nous avons contacté des jeunes garçons qui ont voté pour le RN en Seine-Saint-Denis. Nous avons passé du temps avec Nicolas : un jeune musclé qui pratique la boxe et de la musculation plusieurs fois par semaine. Il est grand, carré, souriant et bien coiffé. Pourquoi Jordan Bardella ? Les idées, la façade, le tout ? La mère de Nicolas est une électrice des Le Pen père et fille. Le dialogue est plus simple.

Isabelle : «Je pensais que mon fils me provoquait, puis j’ai compris qu’il était sérieux»

Les choses se compliquent lorsque les parents qui votent à gauche depuis belle lurette se rendent compte que leur aîné glisse un bulletin du Rassemblement national dans l’urne. Comme Isabelle et Paul que nous avons rencontrés à plusieurs reprises entre la dissolution et le second tour des législatives. Les parents sont profs. Ils ne comprennent pas. Ils vivent avec une culpabilité qui les assomme. Ont-ils raté un truc ? Le couple a tenté de comprendre le vote de Charles, 20 ans, sans parvenir à dialoguer avec lui.