«Ma vie s’est arrêtée à 11 ans, quand j’ai appris que ma mère était prostituée», lâche Romain (1), 44 ans, professionnel de l’hôtellerie en Occitanie. La scène a lieu dans une 4L, où il vient de prendre place avec sa famille d’accueil lorraine, qui l’élève depuis ses 1 an. Il s’agite, l’exaspération monte dans l’habitacle, jusqu’à ce que les adultes lui lancent : «Ta mère, elle fait le métier le plus sale du monde !» Il y voit une révélation moins malveillante que maladroite. «Je réclamais sans doute ma maman, c’était leur façon de me dire : “Tu es avec nous maintenant, on t’aime.” Mais cela m’a psychologiquement bloqué : depuis, je me sens condamné à perpétuité à défendre les travailleuses du sexe.»
Pour ces enfants, la révélation de cette activité parentale procède tantôt d’une déflagration tantôt d’une prise de conscience progressive. Même si beaucoup ignorent le métier de leur mère, comme les fils vingtenaires d’Elodie, 49 ans et travailleuse du sexe (TDS) à Paris. «Ils sont à 12 000 lieues d’imaginer que je suis pute – car c’est quand même facile à cacher. Ça a payé leurs études, ce serait un drame s’ils l’apprenaient», juge-t-elle.
Et ceux qui savent ? Ces derniers mois, Libération a interrogé une dizaine de filles et fils de prostituées, désormais adultes, pour qu’ils racontent leur évolution. A l’école, ils se sentaient gardiens d’un secret. «Cette information, c’était une arme contre notre mère ou nous», résume Estelle, la qua