La cloche tinte. La loi immigration longtemps repoussée déboule au Sénat. Les associations et les collectifs défendant les droits des personnes exilées craignent le pire. Trente-cinq d’entre eux ont organisé une conférence de presse, ce lundi 6 novembre dans la matinée à la Gaîté lyrique, haut lieu culturel parisien, afin de mieux «comprendre les dangers et les enjeux» du projet de loi. Les règles du jeu sont nouvelles. Les représentants des associations laissent la parole aux «concernés», aux «invisibles» du débat public. La parole tourne entre des exilés engagés en France, comme Hamada Siby, malien, membre de la Marche des solidarités, ou Mody Diawara, né en Côte-d’Ivoire, membre fondateur et président du Collectif sans-papiers de Montreuil (CSPM). L’inquiétude est visible à chaque prise de parole. Ils évoquent le contexte «compliqué» après l’assassinat de Dominique Bernard à Arras, le 13 octobre.
«Le débat est instrumentalisé à des fins électorales», explique Camila Ríos Armas, née à Caracas, au Venezuela, qui a fondé l’organisation UniR (Universités et Réfugié.e.s) pour lutter contre la dévalorisation professionnelle des personnes réfugiées. Ils soupçonnent le gouvernement et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de faire des raccourcis entre les exilés, la délinquance et le terrorisme. «L’inclusion est possible en France», répète-t-elle à plusieurs reprises. Chaque orateur évoque un sujet précis. L’article 3 du projet de loi qui vise à régulariser des sans-papiers exerçant dans des secteurs en tension, comme le BTP ou l’hôtellerie ? «Il enferme les sans-papiers dans des petits métiers», répond Bchira Ben Nia, originaire de Tunisie, engagée dans le Mouvement des sans-papiers et membre du bureau de l’Union des étudiants exilés. Puis, elle pose une question : que faire des sans-papiers qui travaillent au noir depuis des années, ceux qui n’ont pas de fiches de paie ?
«Vision rabougrie de l’exil»
Un autre sujet fait flipper les associations et les collectifs : l’aide médicale d’Etat (AME), qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. La question de sa suppression, à la faveur d’un dispositif plus restrictif et moins cher, est clairement posée par certains membres du gouvernement et de la droite. Dembélé Aboubacar, malien arrivé en France en 2018, qui milite depuis deux ans pour le Collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-sur-Seine, met en garde les décideurs à sa manière. «Nous refuser l’accès aux soins, c’est mettre en danger toute la société car nous en faisons partie», dit-il sous les applaudissements de ses voisins. L’ONG Médecins du monde a souhaité connaître l’avis des Français sur l’AME. Elle a commandé un sondage à l’institut CSA. Le résultat ? «Les Français sont favorables à 73 % à l’aide médicale d’Etat quand on leur apporte des données complémentaires sur cette dernière.»
Loi immigration
La conférence de presse se termine. Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade, dénonce la «surenchère» dans la communication et le «climat très dangereux qui crée l’amalgame». Elle a le ministre de l’Intérieur dans le viseur. «Il a changé de storytelling. Il a longtemps vendu une loi à deux jambes avec l’humanité d’un côté et la fermeté de l’autre, mais depuis l’attentat d’Arras, il est dans la répression en mêlant l’immigration à l’insécurité et au terrorisme, dit-elle. C’est une vision rabougrie de l’exil. Tous les gouvernements successifs font des lois et ça ne règle pas le problème.» Les associations et les collectifs ne croient pas au miracle. L’inquiétude concerne aussi certains amendements du gouvernement, dont certains prévoient le «placement en rétention des demandeurs d’asile» ou encore une «limitation du regroupement familial», ce que déplore Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d’asile. Les associatifs ont «conscience» que les débats au Sénat et à l’Assemblée nationale – le projet de loi arrivera en décembre au Palais-Bourbon – n’adouciront pas les choses. Les élus de droite et de l’extrême droite espèrent faire plier le gouvernement en durcissant le texte afin d’éviter un nouveau 49.3, le tout sous le regard «impuissant» des concernés.