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Petite enfance

Dans les crèches, la qualité d’accueil doit avoir la priorité, préconise un rapport parlementaire

Malgré la pénurie récurrente de places, la qualité d’accueil des enfants est au cœur du rapport sur le modèle économique des crèches, voté ce lundi par l’Assemblée nationale. La réservation des berceaux par les employeurs, remboursés en partie par l’Etat, est en ligne de mire.
Les établissements d’accueil des jeunes enfants fonctionnent avec un taux d’encadrement trop restreint. (Valérie Dubois/Hans Lucas. AFP)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 28 mai 2024 à 18h51

Il a été entériné sans passion, mais constitue un jalon. Voté à l’Assemblée nationale ce lundi 27 mai, le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le modèle économique des crèches et la qualité d’accueil du jeune enfant devrait être prochainement rendu public. Sa rapporteure, la députée Renaissance du Rhône Sarah Tanzilli, «appelle à des changements d’ampleur et durables» puisque «la qualité de l’accueil du jeune enfant doit l’emporter sur les promesses de création de places» en crèches. Le problème, en effet, est double : il manque aujourd’hui près de 200 000 berceaux sur le territoire et un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales a révélé il y a un an des maltraitances récurrentes dans des établissements dédiés aux tout-petits.

Qu’ils soient publics ou privés, ces derniers fonctionnent avec un taux d’encadrement trop restreint : un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas et un adulte pour huit «marcheurs» ; ou, s’il est unique dans certains cas, une personne pour six bambins. Alors le relever pour atteindre le ratio d’un adulte pour quatre d’ici 2030, ce que propose en priorité ce rapport parlementaire, fait évidemment consensus parmi les spécialistes de la petite enfance. A condition d’en avoir les moyens. «Les annonces ne coûtent rien», redoute Cyrille Godfroy, cosecrétaire général du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE), pour qui cette échéance de 2030, «irréaliste», risque de réduire cet impératif à une «incantation». D’autant que «les métiers du médico-social et du social sont de la responsabilité des régions et la ministre du Travail, Catherine Vautrin, vient de tailler dans le financement de l’apprentissage, un levier important des métiers de la petite enfance», explique-t-il.

«Coupe-file»

Autre point approuvé par une majorité d’observateurs : la simplification des règles de financement, avec une révision de la «prestation de service unique» (PSU) et la fin des règles dérogatoires applicables aux microcrèches. Leur modèle économique ne permet «ni une égalité d’accès à cette solution d’accueil ni une véritable qualité d’accueil», souligne la rapporteure, qui propose de leur laisser tout de même trois ans pour s’aligner sur le régime des crèches financées via la PSU. Cette clarification doit également s’appliquer à l’accès aux solutions de garde. Rien de nouveau de ce côté-là : le rapport rappelle le rôle central désormais dévolu aux communes (et aux intercommunalités), prévu par l’article 10 de la loi «Plein emploi» votée fin 2023 pour charpenter le service public de la petite enfance (SPPE).

Ce qui, en revanche, pourrait bouleverser un secteur qui s’est privatisé à marche forcée en vingt ans, c’est la proposition de «supprimer le mécanisme de la réservation de berceaux par les employeurs». Ce dernier est abondé par le crédit d’impôt famille (Cifam) créé en 2003 et dont le plafond a été doublé en 2010. Il permet aux entreprises qui préemptent des places pour leurs salariés de se faire rembourser par l’administration fiscale 50 % de leurs dépenses. Cet outil, grâce auquel les acteurs des crèches privées lucratives ont encaissé des sommes faramineuses d’argent public, doit disparaître, préconise également Sarah Tanzilli. «Ce mécanisme a créé un véritable coupe-file pour ces enfants ‘‘plus rentables’’ que les autres, dénonce-t-elle. Ce système est incompatible avec l’égalité d’accès au service public.»

«Pratiques commerciales agressives»

Pour y parvenir, la députée propose de «créer un versement petite enfance assis sur la masse salariale et qui apporte un financement complémentaire au bénéfice des communes». Soit une cotisation proportionnelle au nombre d’employés, que l’entreprise reverse à la collectivité pilote du SPPE sur un territoire donné. De loin la plus radicale, cette recommandation a reçu un soutien timoré des députés de la majorité lors du vote du rapport. Or «certaines places sont parfois payées par l’Etat jusqu’à deux fois, le fait que les grands groupes privés se font de tels bénéfices sur de l’argent public avec des pratiques commerciales agressives n’est pas tolérable, il faut que ce soit transparent», appuie Julie Marty Pichon, coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants et autrice de J’ai mal à ma crèche (Eyrolles, 2024).

«Il y a une volonté d’avancée, abonde Cyrille Godfroy, du SNPPE. Mais on est dans un contexte tendu à tous les niveaux, il va falloir que le gouvernement s’en saisisse.» C’est aussi ce que réclame le député La France insoumise William Martinet, membre de cette commission d’enquête sur les crèches dont il a été à l’initiative : «Une conférence des parties et une loi de programmation pluriannuelle permettront de définir le niveau d’investissement et le calendrier de mise en œuvre du service public de la petite enfance», recommande-t-il dans un contre-rapport. Qui va plus loin que celui de sa collègue Renaissance, en posant un préalable à toute évolution : un gel immédiat de l’ouverture de places dans le secteur privé lucratif.