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Famille

Filiation: les personnes trans, parents pauvres de l’Etat

LGBT +dossier
La reconnaissance officielle de la maternité ou de la paternité, en accord avec son identité de genre, dépend encore du bon vouloir des tribunaux qui, sans législation ni jurisprudence, tranchent au cas par cas. Les associations réclament une vaste réforme pour donner accès à une vie de famille sans distinction.
Lors de la manifestation organisée par le collectif ExisTransInter, samedi à Paris. (Hubert Didona/saif images)
publié le 16 mai 2022 à 20h12

L’Etat français va-t-il devoir mettre la main au portefeuille pour indemniser les personnes transgenres, dont la stérilisation était obligatoire pour obtenir un changement d’état civil jusqu’en 2016 ? C’est en tout cas l’une des revendications du collectif inter-associatif ExisTransInter, à l’origine d’une marche annuelle pour les droits des personnes trans et intersexes, qui a réuni plusieurs centaines de personnes samedi à Paris. Pour les organisateurs, cette «stérilisation forcée» constitue une «violence d’Etat», qui devrait entraîner l’ouverture d’un fonds d’indemnisation et la reconnaissance des torts. Depuis la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, adoptée en novembre 2016, fournir des certificats médicaux n’est plus obligatoire pour pouvoir faire changer son état civil.

«Ce qui implique que jusqu’à 2016, les personnes trans étaient face à un dilemme : changer d’état civil ou pouvoir avoir un enfant. Des générations ont dû faire le deuil d’une vie de famille», s’insurge Jena Pham-Selle, militante et créatrice du podcast Nos voix trans, pour qui cette disposition est révélatrice «de tout un système», qu’elle compare à «une forme d’eugénisme transphobe de l’Etat». Samedi, les manifestants ont aussi réclamé «l’autonomie en termes de droits sexuels et reproductifs» et l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA), tentant de faire advenir dans le débat public la question longtemps restée taboue de la parentalité des personnes transgenres, alors qu’a lieu ce mardi la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie.

En février dernier, ce qui est longtemps resté un impensé a pourtant franchi une étape décisive lorsque Claire (1), une femme transgenre, a enfin obtenu d’être reconnue par la cour d’appel de Toulouse comme la mère de sa fille, conçue naturellement avec son épouse, après son changement d’état civil, alors qu’elle disposait d’organes génitaux masculins. Il aura fallu pour cette première en France endurer plus de huit ans de bataille judiciaire, signe de la somme d’obstacles administratifs, légaux et sociétaux auxquels doivent faire face nombre de concernés dans leurs parcours parentaux. Au fil du sien, Claire s’est notamment vue proposer d’adopter son propre enfant pour faire reconnaître sa filiation, d’être inscrite comme son «père» sur l’acte de naissance, conformément au genre qui lui avait été assigné à la naissance, ou encore de n’être ni père, ni mère, mais de devenir un «parent biologique», idée totalement inédite surgie au fil de ses pérégrinations judiciaires, avant d’être abandonnée…

«Résistances à la parentalité trans»

Une «discrimination» liée à la transidentité de sa cliente, selon son avocate, Me Clélia Richard, qui a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme pour faire reconnaître la qualité de victime de sa cliente et pousser la France à se pencher enfin sur ces parentalités dont elle rechigne à se saisir. Ni la loi de 2016 sur le changement d’état civil, ni la loi de bioéthique de 2021 n’ont véritablement réglé la question. Si depuis juin 2021, les couples de femmes ayant recours à la PMA avec donneur peuvent faire établir la filiation de la mère n’ayant pas accouché par le biais d’une reconnaissance anticipée devant notaire, «pourquoi devoir passer par une procédure judiciaire dans le cas d’un couple de femmes, dont l’une est transgenre, alors même qu’il s’agit d’une procréation charnelle ?» questionne Me Clélia Richard, qui y voit le signe «de résistances à la parentalité trans, qui peine à être reconnue dans sa traduction à l’état civil».

Car si l’histoire de Claire envoie un signal positif, elle ne peut suffire à établir une jurisprudence pour les enfants conçus naturellement au sein d’un couple de même sexe : «En l’état, on laisse les tribunaux trancher au cas par cas, sans directive au niveau national, ce qui ouvre aussi la porte à des disparités géographiques», pointe l’avocate. D’autres signaux positifs ont toutefois été observés, à l’instar de l’histoire de François et Ali, un homme trans qui a accouché de leur enfant en 2019. Le couple a réussi à voir leur filiation reconnue dès la naissance, sans avoir à renier l’identité de genre de l’un d’eux, ni à passer par l’adoption. «Certes il s’agit de situations rares, mais qui vont se multiplier», pointe Me Clélia Richard, pour qui il est grand temps de mener une vaste réforme de la filiation, qui prenne en compte la parentalité d’intention, plutôt qu’une «vision purement biologisante».

«Nous avons le droit d’être parents»

C’est aussi ce que réclame l’Association des parents gays et lesbiens, qui a créé il y a un peu plus d’un an une commission dédiée aux parentalités trans. Cléo Carastro, qui la préside, estime être entrée en contact avec près de 300 familles, engluées dans des difficultés de reconnaissance de leur filiation, ou en questionnement face à un projet parental accompagné d’un «vide juridique» qui les plonge dans l’incertitude. Qu’en est-il par exemple des hommes trans qui auraient eu un enfant avant leur transition, pour lequel ils sont inscrits comme «mère» à l’état civil, mais qui s’apprêteraient à accoucher d’un autre enfant ? L’état civil les reconnaîtra-t-il dans leur genre ? Et si oui, le premier état civil pourra-t-il être modifié sans heurts pour harmoniser ? A quels notaires, quels soignants, quels conseils juridiques s’adresser pour être sûr d’être reçu de manière respectueuse ? Et tout bonnement, comment procéder pour procréer en tant qu’homme trans, en couple avec une femme, puisque le législateur a exclu ce public de l’accès à la PMA dès 2019, malgré des amendements déposés en ce sens ? «Cette loi a délibérément exclu les personnes trans de l’accès à la PMA. Nous exigeons qu’elle soit modifiée sans attendre la prochaine révision des lois de bioéthique. Nous avons le droit d’être parents», a pointé Anaïs Perrin-Prevelle, coprésidente de l’association OUTrans, lors de la manifestation de samedi.

Le sujet avait provoqué des remous jusqu’au sein de la majorité : le corapporteurs de la loi de bioéthique, Jean-Louis Touraine, s’y était notamment dit favorable, au nom d‘une «question assez fondamentale de non-discrimination». Joint par Libération, le député LREM de Charente-Maritime Raphaël Gérard fustige quant à lui un autre rendez-vous manqué de la loi de bioéthique, relatif à la conservation des gamètes des femmes trans (assignées homme à la naissance) : si elles peuvent conserver des spermatozoïdes, elles doivent en revanche faire appel à un donneur si elles veulent avoir recours à la PMA par la suite. «C’est-à-dire qu’on les traite comme des personnes stériles. On a ainsi atterri sur une loi qui perpétue une forme de censure administrative à leur endroit en maintenant ce choix cornélien : procréer dans le genre assigné à la naissance ou changer de sexe à l’état civil et renoncer, le cas échéant, à être le géniteur de l’enfant», s’indigne-t-il, pointant «l’urgence à légiférer pour protéger les enfants». Pour lui, c’est net, «le choix d’exclure une partie des personnes trans a été motivé chez une partie des députés par un refus de reconnaître la légitimité des familles transparentales, qui sont pourtant déjà une réalité dans notre pays». Une réalité qui semble de plus en plus décidée à clamer : «On est là, on existe», à l’image de Claire, illustratrice à l’origine d’un blog pédagogique sur la transparentalité, que Libération a rencontrée. Ou de Clemens, cet autre père trans croisé à la manifestation parisienne samedi. Lui qui a porté son enfant arborait une pancarte proclamant : «Parent trans, pas transparent.»

(1) Le prénom a été modifié.