«On a découvert ce qu’on appelle aujourd’hui les familles monoparentales, la plupart du temps ces femmes seules qui élèvent leurs enfants et travaillent. Très peu de choses sont faites dans la société pour elles, pour ne pas dire rien.» En avril 2019, à l’issue du grand débat national faisant suite au mouvement des gilets jaunes, le président Emmanuel Macron reconnaissait à la fois l’invisibilisation des familles monoparentales en France et le manque d’accompagnement. Six ans plus tard, à l’horizon des élections municipales de 2026, le collectif «Mères déters» signe l’étude «Villes, monoparentalité et mères isolées en France». Une comparaison de la prise en compte des familles monoparentales dans les politiques municipales de quatorze villes (sur les près de 35 000 que compte la France), qui souligne des avancées notables, mais encore très largement insuffisantes.
«Selon la ville dans laquelle on habite, notre vie en tant que mère isolée peut changer radicalement» : ce constat est le point de départ d’Yvonne (1), rédactrice de l’étude et membre du collectif cofondé en 2024 par Sarah Lebailly, ex-présidente de la Collective des mères isolées, et la militante marseillaise Wafa. Entre les mois de juillet 2024 et 2025, elle a comparé les actions municipales de quatorze villes françaises : les dix plus peuplées, mais aussi deux villes moyennes ayant mis en place un plan pour la monoparentalité (Ris-Orangis dans l’Essonne, Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis), ainsi que deux communes ultramarines (Saint-Denis de la Réunion et Fort-de-France en Martinique).
Population précaire invisibilisée
Près d’un quart des familles en France sont monoparentales, selon les chiffres 2020 de l’Insee, avec, dans l’écrasante majorité des cas, des femmes à leur tête (83 %). Elles sont «extrêmement dépendantes des services publics», précise Yvonne. Le reste à vivre des mères isolées est inférieur presque de moitié à celui des couples avec enfants. En 2020, 28,7 % d’entre elles travaillaient à temps partiel, une situation souvent contrainte par les besoins de garde des enfants, qui renforce leur précarité.
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En dépit de leur poids démographique, les familles monoparentales demeurent trop peu visibles dans les politiques municipales, avec de fortes disparités d’accès aux services essentiels suivant les communes. En 2020, parmi les dix programmes des candidats maires aux villes figurant dans l’étude (les quatre manquants n’ont pas pu être retrouvés), seuls quatre faisaient mention de la monoparentalité.
«Ce qu’on essaye de mettre en lumière, c’est que les maires ont la capacité de changer la vie des mères isolées», précise la rédactrice de l’étude. De nombreuses compétences en lien direct avec la vie quotidienne des familles dépendent des mairies et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : l’accueil périscolaire, les transports, la petite enfance, la restauration scolaire ou encore le logement. «Les communes gèrent toute cette période qui va de la naissance aux 12 ans de l’enfant, là où on a le plus de besoins», détaille Yvonne.
Des municipalités – parmi lesquelles Montpellier, Ris-Orangis ou Paris – ont adopté des mesures spécifiques à l’accompagnement des familles monoparentales. Mais les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous : «Certaines villes, comme Dijon, ont adopté leur plan extrêmement tard, et il n’y a rien derrière. Pas d’annonce de révision de la tarification, pas d’objectif quantitatif, pas d’objectif qualitatif, pas de calendrier. C’est une délibération d’intention», regrette Yvonne. L’étude épingle également le flou qui entoure parfois ces mesures : Saint-Ouen et Paris n’ont pas mentionné de temporalité pour leurs actions, là où Montpellier affiche un plan sur trois ans à partir de 2024.
Un pacte pour les municipales 2026
L’étude du collectif compare les conditions d’accessibilité à ces différents services dans les quatorze villes et souligne que ce ne sont pas forcément les six communes françaises ayant adressé frontalement la question des familles monoparentales qui sont les plus accessibles. La mairie de Ris-Orangis a adopté des mesures d’inclusion, telles que le retrait de la pension alimentaire de l’assiette des revenus pris en compte pour la définition des tarifs, «mais le coût du service public demeure inaccessible», déplore Yvonne. Pour une famille monoparentale avec un enfant, l’étude relève que le prix de l’accueil périscolaire du matin dans la ville de l’Essonne s’élève à 321 euros mensuels, contre seulement 40 euros à Toulouse. Yvonne conclut qu’il est plus facile d’habiter cette dernière, «qui n’a pris aucune mesure particulière, mais qui a une offre de services publics municipaux plus attractifs financièrement».
Pour poursuivre les efforts entamés par les municipalités, le collectif Mères déters assortit son étude d’un «Pacte pour les mères isolées et les familles monoparentales à l’échelle communale». Chaque candidat aux élections municipales de 2026 est appelé à le signer. Il s’engage ainsi à mettre en place au moins cinq des dix recommandations avancées, parmi lesquelles la délibération au conseil municipal d’une stratégie dédiée aux familles monoparentales, co-construite avec les habitants et associations locales, «qui instaure des objectifs qualitatifs et quantitatifs, ainsi qu’un calendrier», insiste Yvonne.
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Les avancées municipales sont une première étape pour impulser un élan national, alors que des lois relatives aux politiques d’accompagnement de la parentalité sont en cours de construction. Un rapport contenant 44 propositions, voté le 24 juin par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, préconise notamment la création d’un statut des familles monoparentales auquel seraient associés des droits spécifiques. Une initiative déjà mise en place à l’échelle communale par les mairies de Ris-Orangis ou des Lilas (Seine-Saint-Denis), également portée par une proposition de loi transpartisane du député PS Phillipe Brun en 2024. Aucune loi n’a encore été adoptée, l’agenda parlementaire étant régulièrement bouleversé par les récents et nombreux remous politiques.
(1) Le prénom a été changé.
Mis à jour le 24 septembre à 11h42 avec l’ajout de Wafa comme cofondatrice du collectif Mères Déters.