Quand elle a entendu parler du projet, en septembre dernier, elle dit avoir «tout de suite su» que c’est là qu’elle voulait vivre. Et ce, avant même d’avoir visité les lieux. Séparée depuis quelques mois du père de son fils de 5 ans, Sophie (1), consultante de 46 ans, continuait alors de cohabiter avec son ex-conjoint, le temps de trouver à se reloger. La perspective de devoir déménager n’allait pas sans susciter quelques inquiétudes chez cette habitante d’une commune des Yvelines : «Je n’avais pas envie que mon fils change d’école. Et je craignais aussi de me retrouver en vase clos avec lui, de courir partout, de ne pas sortir la tête de l’eau… Et finalement, de ne pas vraiment profiter de mon enfant», se remémore-t-elle. Sophie a donc choisi de vivre en coliving, dans une nouvelle structure dédiée à des familles monoparentales plutôt aisées, inaugurée début décembre à Poissy. Située dans une rue commerçante, à proximité de plusieurs établissements scolaires, la propriété, coquette et colorée, propose une douzaine de petits appartements privatifs meublés – entre 20 et 30 m² – ainsi que des espaces communs. A ce jour, sept logements sont encore disponibles.
«Les parents solo sont le public le plus à risque de précarisation»
Bureaux pour télétravailler, cuisine tout équipée, jardin, buanderie, salle de jeux pour les enfants, et même bar caché intimiste pour les parents : le lieu se veut pensé pour répondre aux besoins spécifiques des familles monoparentales. «L’idée nous est venue après l’émergence du Covid, qui a fait émerger une pandémie de solitude dans nos vies. On a aussi fait le constat que face à la crise du logement, les parents solo sont le public le plus à risque de précarisation. En concurrence avec d’autres foyers, il est souvent économiquement plus rationnel pour les propriétaires de choisir un dossier avec deux sources de revenu», retrace Tara Heuzé-Sarmini, cofondatrice de Commune, start-up à l’origine du projet, et bailleur. L’entrepreneuse, qui était également à l’origine de l’association de lutte contre la précarité menstruelle Règles élémentaires, assure que le modèle garantit des économies de 20 à 30 % aux habitants, selon leurs calculs et avec un niveau de services équivalents : compter entre 1190 et 1290 euros par mois pour un adulte et un enfant, selon la taille du logement. Un tarif loin d’être bon marché, mais qui se justifie par les services inclus, à en croire les fondateurs : aide aux devoirs, assistance juridique, connexion haut débit ou encore abonnement à des plateformes. Le coût de cette utopie la rendrait-elle inaccessible à nombre de familles monoparentales ? «Il ne s’agit pas de logement social et on ne bénéficie d’aucune subvention publique», rétorque Tara Heuzé-Sarmini. En supplément, un service de baby-sitting est possible, moyennant 5 euros de l’heure. «On n’exige pas que les postulants gagnent trois fois le montant mensuel, comme c’est souvent le cas, mais deux. Et le CDI hors période d’essai n’est pas requis non plus», justifie-t-elle.
«J’imagine de l’entraide entre les mamans»
Avec un salaire mensuel de 3400 euros net, Sophie se dit consciente de «bien gagner [s]a vie». «Pour le même tarif, j’aurais pu avoir un trois-pièces, mais pas dans l’hypercentre, et probablement pas avec un jardin. Je n’ai pas fait ce choix pour des raisons financières», explique celle qui espère trouver là des espaces de «convivialité». «J’imagine de l’entraide entre les mamans. J’aime aussi l’idée que mon enfant ne soit pas seul, qu’il puisse jouer avec d’autres. Ça me soulage d’une forme de culpabilité, et de la charge mentale que représente le fait de se poser sans cesse la question de comment l’occuper», dit-elle. Et, contrairement à une colocation, la quadragénaire apprécie de pouvoir s’isoler dans un espace à elle, si elle le souhaite : chaque appartement dispose d’une kitchenette, d’une table à manger dans certains, et d’une salle d’eau privative. «C’est un bon compromis : les moments partagés seront choisis, quand on en aura envie», imagine Sophie. «Il ne s’agit pas juste d’un nouveau logement, mais de créer une véritable communauté», renchérit Ruben Pétri, cofondateur de Commune. En choisissant les dossiers des futurs habitants, la start-up s’assure aussi qu’ils sont prêts à ce mode de vie, et à mettre la main à la pâte : «Certains proposent des ateliers cuisine ou jardinage, d’autres des sorties au musée, et même du yoga du rire», poursuit Ruben Pétri. «La société valorise encore largement un modèle hétéronormé de famille nucléaire. Ce modèle est dépassé. C’est une manière de faire famille autrement», vante quant à elle Tara Heuzé-Sarmini, qui veut voir dans ce lieu la possibilité du fameux «village» souvent évoqué pour élever un enfant. Au premier semestre 2024, un lieu similaire devrait voir le jour à Roubaix (Nord), à un tarif moindre (790 euros), avant, espèrent les deux fondateurs, que d’autres essaiment, en France et à l’étranger.
(1) Le prénom a été modifié.