Un recueil dans la colère et le silence. Ce jeudi 15 février, entre 100 et 150 personnes se sont réunies devant le siège du conseil départemental du Puy-de-Dôme, à Clermont-Ferrand, selon France Bleu, pour dénoncer les manquements du département dans la prise en charge des mineurs. Au cœur de la colère, la mort de Lily, 15 ans, retrouvée pendue dans un hôtel le 25 janvier à Aubière, dans un d’hôtel où elle avait été placée par la Protection de l’enfance.
Tribune
Selon une enquête de Mediapart, l’adolescente avait «un papa SDF, une maman toxicomane» et était entrée à 3 ans dans la Protection de l’enfance, avant d’échouer depuis plusieurs mois dans un hôtel devenu «un point de chute pour des gosses totalement déstructurés», sans personnel éducatif à demeure. Cette situation n’aurait jamais dû arriver puisque le Parlement a voté en 2022 la loi Taquet, du nom de l’ancien secrétaire d’Etat, Adrien Taquet, prévoyant l’interdiction au 1er février 2024 des placements de jeunes de l’ASE en hôtel, sauf «à titre exceptionnel pour répondre à des situations d’urgence ou assurer la mise à l’abri des mineurs» et pour pas plus de deux mois.
Le délai de deux ans devait permettre aux départements, chargés de la protection de l’enfance, de s’organiser. Las, un premier décret censé fixer les modalités pour cette période transitoire n’est jamais paru. Un autre, «précisant les conditions d’interdiction de la prise en charge en hôtel […] vient d’être signé par le Premier ministre, Gabriel Attal», a déclaré le 6 février à l’Assemblée nationale Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement, sans préciser en revanche son contenu.
Un «système qui aujourd’hui est à bout de souffle»
Pour Lyes Louffok, ancien enfant placé et militant des droits de l’enfant, «si le gouvernement avait fait son boulot», Lily «n’aurait jamais été placée dans un hôtel». Sur France Inter ce jeudi matin, il s’est indigné d’un «système qui aujourd’hui est à bout de souffle» et «n’est plus en capacité [d’assurer] son devoir premier qui est celui de protéger l’enfant» : «Si nous n’interdisons pas ce mode de placement, si nous ne créons pas d’autres places, si nous n’améliorons pas les conditions de travail des travailleurs sociaux, il y aura d’autres drames. Systématiquement, il y en a. La question qu’on se pose tous c’est jusqu’à quand cela va-t-il durer ? Jusqu’à quand va-t-on décider de placer des enfants dans des structures qui ne sont pas adaptées ?»
J’étais ce matin sur France Inter, au micro de Mathilde Munos, pour parler des placements d’enfants à l’hôtel et du suicide de Lily. Le décret interdisant ce type de placement n'a toujours pas été publié au Journal Officiel. 👉🏻https://t.co/fWQKPqF2wt pic.twitter.com/0kfwyTWpY7
— Lyes Louffok (@LyesLouffok) February 15, 2024
Ce drame fait écho à une précédente tragédie qui avait provoqué un début de prise de conscience et le vote d’une loi : le meurtre en 2019 d’un adolescent de 17 ans de l’ASE dans un hôtel de Suresnes (Hauts-de-Seine) par un autre mineur, lui aussi placé. Un rapport commandé à l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) après ce crime avait estimé qu’au moins 5 % des jeunes confiés à l’ASE étaient hébergés en hôtels, surtout dans quelques départements franciliens et du sud de la France. Soit 7 500 à 10 500 enfants. Environ 95 % d’entre eux étaient des mineurs non accompagnés étrangers (MNA), jugés plus indépendants, l’hôtel étant «une solution par défaut face à un flux difficile à prévoir et à maîtriser».
Enquête
Dans les hôtels étaient placés aussi des «cas complexes», présentant de «forts troubles de comportement» ou des mineurs ayant des besoins spécifiques (psychiatriques…), relevait l’Igas. Des jeunes que les services de l’ASE, en manque de professionnels spécialisés, ont du mal à gérer et qui mettent en danger les autres mineurs dans les foyers. «Dans ces hôtels, les enfants sont livrés à eux-mêmes, vulnérables à la prostitution et aux trafics. Les éducateurs ne passent que rarement, les hôteliers leur donnent à manger. C’est obérer leur avenir que ne pas leur donner d’accompagnement socio-éducatif», analyse Perrine Goulet, présidente de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale.
Selon Lyes Louffok, la situation s’est depuis le rapport «largement dégradée», sans que de nouveaux chiffres permettent de l’étayer. Il demande au gouvernement une nouvelle saisine de l’Igas pour qu’un nouvel état des lieux soit dressé le plus rapidement possible.