C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022. Le secteur public de la petite enfance (SPPE) est entré en vigueur le 1er janvier. Les communes doivent maintenant organiser l’accueil des jeunes enfants. Inscrite dans la loi du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi, la mesure est loin des ambitions de «mettre en place un véritable droit à la garde d’enfant» comme l’appelait de ses vœux le président de la République lors de son discours devant le Congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité, en janvier 2022.
De nombreuses communes ou intercommunalités (Communautés de communes, communautés d’agglomération, métropoles, etc.) s’étaient déjà volontairement saisies du sujet de la petite enfance. Elles ont maintenant un cadre commun. Les municipalités doivent désormais recenser les besoins des familles et les informer sur les modes d’accueil disponibles. Celles qui comptent plus de 10 000 habitants ont la responsabilité de développer et soutenir la qualité de l’accueil des jeunes enfants. «C’est un début important, une avancée intéressante», reconnaît Clotilde Robin, présidente du groupe de travail sur la petite enfance de l’Association des maires de France. Mais qui reste insuffisante pour les professionnelles (en grande majorité des femmes), qui attendaient un SPPE plus ambitieux.
Un texte désossé
En avril 2023, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge estimait dans un rapport que le SPPE avait pour but de «garantir le droit à une place d’accueil à tous les enfants de moins de 3 ans, à un coût abordable pour les familles et comparable sur l’ensemble du territoire, tout en assurant un niveau élevé de qualité quel que soit le mode d’accueil». Mais aujourd’hui, on en est loin : «En aucun cas, il n’est question d’ouvrir le droit aux familles de se rendre en mairie et d’obtenir une place en quelques mois. Or, c’était l’objectif à la base», rappelle Philippe Bluteau, avocat spécialisé dans la défense des collectivités locales pour qui le texte ne contient rien de «consistant».
A lire aussi
De nombreuses familles peinent à trouver une place en crèche ou chez une assistante maternelle pour leur bébé. En juin 2023, à l’issue du Conseil national de la refondation dédié à la petite enfance, Elisabeth Borne, alors première ministre, avait assuré la création de 200 000 places de crèche supplémentaires, dont 100 000 d’ici à 2027 dans le cadre du service public de la petite enfance. Des places supplémentaires qui ne se retrouvent pas dans le texte.
Grand absent également, le droit opposable, réclamé par la société civile, n’a pas été inscrit dans la loi. Selon Philippe Bluteau, ce droit aurait permis aux familles d’exiger une compensation financière dans le cas où l’administration n’aurait pas pu leur accorder la place demandée. Un outil qui aurait pu, selon l’avocat, pousser l’administration publique à investir dans le secteur pour éviter d’être condamné.
Au sein des municipalités, des questions subsistent quant au mode de financement du SPPE. La chute du gouvernement Barnier a stoppé l’examen du projet de loi de finances et par là les 86 millions d’euros du fonds de compensation prévus pour le subventionner. «Ça n’aurait pas été suffisant, juge cependant Clotilde Robin. Pour une ville comme Montpellier, la mise en place du SPPE est estimée à 500 000 euros». Les perspectives de financement restent d’autant plus floues que les décrets d’application ne sont toujours pas parus au Journal officiel. Contactés, les services du cabinet de la ministre du Travail, de la Santé et des Familles, en charge du sujet, n’ont pas donné suite à notre demande.
Les professionnelles rêvaient plus grand pour un texte qui les séduisait sur le papier. Pour Julie Marty Pichon, coprésidente de la Fédération des éducateurs de jeunes enfants, le service devrait être universel et gratuit. «L’école à partir de 3 ans l’est, pourquoi pas la crèche ? Il faut offrir une place à tous les enfants, quel que soit leur milieu social, ou leur handicap», estime celle qui est aujourd’hui enseignante en maternelle. «Il faudrait que les parents puissent décider, grâce à de vrais congés parentaux, de rester ou non auprès de leur enfant. Que ce ne soit pas que de belles intentions sur le papier», abonde Emilie Philippe, porte-parole du collectif Pas de bébé à la consigne.
Pénurie de professionnelles
Pour les professionnelles de la petite enfance, le projet reste éloigné des réalités du terrain. «On a fait des annonces sur la création de places alors qu’on a un nombre important d’assistantes maternelles qui vont partir à la retraite», souligne Cyrille Godfroy, cosecrétaire général du Syndicat national des professionnels de la petite enfance. En France, en 2020, selon des chiffres du Haut Conseil de l’enfance, de la famille et de l’âge, 48,8 % des assistantes maternelles avaient 50 ans et plus tandis que 2,4 % avaient moins de 30 ans. Une pyramide des âges déficitaire qui inquiète.
Tribune
Tout le secteur de la petite enfance est touché par ce manque de moyens humains. Julie Marty Pichon souligne la difficulté du travail avec les tout petits. Pour les professionnels, l’attractivité des métiers du secteur est cruciale pour assurer un service public de la petite enfance décent. D’autant plus que le secteur est encore bouleversé par les faits divers et enquêtes journalistiques qui ont pointé les cas de maltraitances ces dernières années. Il s’interroge d’ailleurs sur la place à accorder aux établissements du privé lucratif, particulièrement mis en cause. Selon la Drees, fin 2021, ces structures représentaient un tiers des établissements d’accueil de jeunes enfants.