Les Fêtes de Bayonne portent aujourd’hui très mal leur nom. L’homme de 58 ans violemment frappé à la tête la semaine dernière en marge de ces festivités rassemblant des centaines de milliers de personnes est mort mardi 16 juillet au soir, a annoncé ce mercredi 17 juillet le parquet de Bayonne dans un communiqué. Il était hospitalisé depuis le 11 juillet au Centre hospitalier de la côte basque en soins intensifs, au lendemain du lancement de ces fêtes du Sud-Ouest.
Auprès de Libération, le professeur émérite de sociologie à la Sorbonne Philippe Steiner, auteur de l’ouvrage Faire la fête. Sociologie de la joie (PUF), pour lequel il a étudié ces festivités pendant plusieurs saisons, revient sur leur dangerosité.
Vous avez étudié les Fêtes de Bayonne au cours de quatre éditions. Le niveau de violence était-il aussi important que ces deux dernières années ?
Les éditions des Fêtes de Bayonne que j’ai étudiées – à savoir 2017, 2018, 2019 et 2022 – ont été des années relativement très pacifiées. La violence était essentiellement redoutée et observée en ce qui concerne les agressions sexuelles et les viols. C’était le point central sur lequel la réflexion des organisateurs et de la mairie portait. Les chiffres finaux des agressions révélées à la fin des Fêtes représentaient alors une véritable hantise pour les organisateurs.
Reportage
La violence au sens de celle qui a eu lieu cette année et l’année dernière – et au cours desquelles deux personnes sont mortes – n’avaient toutefois pas cours. Depuis juillet 2023 et la mort d’un homme, les Fêtes ont ainsi basculé dans un caractère «exceptionnel» par rapport à leur histoire récente, c’est-à-dire les quarante dernières années. Toutefois, en regardant à plus long terme, j’aurais tendance à dire que la violence diminue, dans le sens où de multiples formes de violences étaient magnifiées au cours des années 70 avec les combats de vaches ou les bagarres de rue. Avec la mort de cet homme en 2024 et d’un autre en 2023, nous assistons donc à une forme de recrudescence naissante et surprenante de la violence, dans des Fêtes qui sont par ailleurs conviviales.
Comment expliquez-vous cette recrudescence de la violence ?
Certains relient cette violence à la brutalisation de la société en général. De mon point de vue, j’aurais tendance à dire que lorsque vous réunissez des centaines de milliers de personnes pendant plusieurs jours dans un petit espace, ces micro-explosions de violence relèvent de la normalité au sens sociologique. Mais cette «normalité», sociologiquement parlant j’insiste, ne signifie pas qu’on ne doit pas réagir. Nous ne pouvons pas rester les bras ballants face à ces deux décès effroyablement tristes et dramatiques.
Est-ce que réduire le nombre de festivaliers représenterait alors une solution efficace ?
Pour cette édition 2024, il y a eu une baisse d’environ 20% de la fréquentation des Fêtes en raison de l’avancement de la date pour s’adapter aux Jeux olympiques. Et pourtant, c’est également cette année-là que s’est déroulé cet effroyable meurtre. Nous pouvons donc conclure que ce n’est pas suffisant.
La solution pourrait-elle venir de la sécurité ?
Les mesures de sécurité sont déjà à leur maximum, avec des centaines de policiers, de gendarmes et de militaires mobilisées. Un réseau de plusieurs centaines de caméras est également utilisé, des équipes de policiers à pied sont déployées, des groupes de l’armée circulent en continu… Je ne vois pas ce qu’on peut faire de plus. Il n’y a aucune solution évidente. Mais une chose est sûre : si ces morts se multiplient, la réputation des Fêtes de Bayonne va être durablement entachée et il sera difficile pour la mairie de continuer à les organiser.
Est-ce qu’il serait possible de construire un modèle alternatif ?
Pendant les Fêtes de Bayonne, le plaisir des festivaliers se résume à occuper l’espace et à faire la fête dans toutes les rues de la ville. Le plaisir provient de la rencontre et de la proximité. Pour vivre cette expérience, il faut donc du monde. En modifiant cette caractéristique des Fêtes, on modifierait alors son cœur battant, c’est-à-dire la foule. Je ne vois donc pas de régime intermédiaire. Ou, sinon, ce modèle serait radicalement différent de celui que l’on connaît actuellement, celui qui fait justement la singularité du Pays basque.