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Logement

Fin de la trêve hivernale et reprises des expulsions : 140 000 personnes menacées, les associations s’alarment

La trêve hivernale s’achève lundi 1er avril alors que l’inflation grignote les revenus et qu’une nouvelle réforme accélère les procédures d’expulsion. En 2023, 21 500 ménages avaient été forcés de quitter leur logement, et les associations craignent que ce chiffre n’augmente encore.
Lors d'une manifestation pour le logement pour tous, lundi 1er avril 2023 à Paris. (Fiora Garenzi/Hans Lucas. AFP)
publié le 31 mars 2024 à 13h58

Des milliers de personnes pourraient bien se retrouver sans logement à partir de lundi. Le début du mois d’avril marque aussi celui de la fin de la trêve hivernale, commencée le 1er novembre. Comme chaque année, pendant cette période, les procédures d’expulsion d’un locataire par un propriétaire étaient suspendues si les raisons concernaient des loyers impayés, des nuisances ou encore le non-respect du règlement de copropriété. Il redevient également possible de couper l’électricité et le gaz aux ménages en cas d’impayés, dans certains cas de figure.

A partir de lundi, ce sont 140 000 personnes qui sont menacées d’être expulsées cette année, soit par les forces de l’ordre, soit en quittant elles-mêmes leur logement sous la contrainte de la procédure, selon les données de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement.

«Hausse exponentielle»

«Des ménages vulnérables avec des enfants en bas âges ou des personnes âgées peuvent se retrouver à la rue», dénonce Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre. Car, «bien souvent», ces personnes ne se voient proposer «aucun hébergement», pointe l’associatif. La situation était déjà jugée «alarmante» en 2023. 21 500 ménages avaient été expulsés, selon les chiffres du ministère du Logement communiqués au Monde. Soit 23 % de plus en un an, et plus du double par rapport aux chiffres d’il y a dix ans. Cette «hausse exponentielle reflète les retours de terrain dramatiques de l’an dernier», réagit Manuel Domergue sur X.

Et les acteurs associatifs craignent que la nouvelle année suive cette trajectoire et que le quotidien des personnes mal logées ne s’aggrave encore plus. Car la loi Kasbarian-Bergé est passée par là. Adoptée en juin 2023, cette nouvelle réforme durcit notamment les peines encourues par les squatteurs jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende. Elle accélère aussi les procédures en cas de loyers impayés : une «clause de résiliation de plein droit» est systématiquement prévue dans les contrats de bail, permettant à un propriétaire d’obtenir la résiliation sans engager d’action en justice – ce qui accélère l’expulsion. La loi avait même inquiété les rapporteurs spéciaux de l’ONU, quelques mois avant son adoption.

Les Jeux olympiques sont un autre motif de préoccupation. Pour l’association Droit au logement (DAL), ils sont synonymes de «congés locatifs frauduleux donnés par les propriétaires pour faire de l’argent en logeant les touristes». Et pour cause : l’agence départementale d’information sur le logement (Adil) de Paris a recensé 28 % de congés locatifs invalides sur la période allant de septembre 2023 à février 2024, contre 19 % en 2022.

«Manque de volonté politique»

«A la rue, les personnes ont beaucoup plus de mal qu’auparavant pour trouver un hébergement. Beaucoup sont en attente d’un logement social ou sont prioritaires Dalo [droit au logement opposable] et devraient être relogés, et [le sont toujours] des mois ou des années après», pointe Marie Rothhahn, de la fondation Abbé-Pierre, dans une vidéo partagée sur X. Elle dénonce des mesures insuffisantes de l’Etat pour «protéger ces personnes», qui «se retrouvent en procédure d’expulsion généralement [à cause] d’un accident de la vie, une perte d’emploi, une séparation ou une maladie». L’inflation galopante a aussi frappé de plein fouet les ménages les plus modestes, tandis que la réforme des aides au logement a pu, bien souvent, jouer en leur défaveur.

Situation «catastrophique» confirmée le 29 mars par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Dans son avis, elle alerte, sévère, sur «l’urgence d’apporter une réponse structurée et d’envergure à la crise du logement», pointe un «manque de volonté politique». Et rappelle que près d’une personne sur cinq, en France, est fragilisée par la crise du logement, entre difficulté à payer loyer et charges, copropriétés dégradées ou passoires énergétiques.