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Interview

Guyane : «L’augmentation de la déforestation pousse le jaguar à attaquer des animaux domestiques»

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Si la recherche scientifique consacrée au grand félin est encore balbutiante, Stéphanie Barthe, de l’Office français de la biodiversité de Cayenne, souligne le lien entre réduction du territoire de chasse et regain d’attaques sur le bétail ces dernières années.
Des coupes de bois illégales près de Maripasoula, à la frontière entre Guyane et Suriname, en 2020. (Thibaud Vaerman/Hans Lucas)
publié le 17 décembre 2023 à 8h25

Avec 107 attaques déclarées en 2022 et 442 animaux d’élevage tués, soit le double des décès par rapport à l’année 2021 selon les chiffres de l’association Hisa (Human Initiative to Save Animals), le jaguar devient un danger pour les éleveurs guyanais. Plus de la moitié d’entre eux affirment avoir connu des attaques et des déprédations de la part du grand fauve. Stéphanie Barthe, responsable de l’unité technique et connaissance à l’Office français de la biodiversité (OFB) de Guyane, revient sur les attaques de jaguar qui déciment le bétail en Guyane.

La Guyane est-elle un espace où le jaguar est menacé ?

La recherche scientifique sur le jaguar est encore balbutiante. Nous réalisons actuellement une étude scientifique à l’échelle de la Guyane pour approfondir nos connaissances. Ce qu’on peut dire, c’est que la Guyane fait partie des régions où l’habitat du jaguar est pour l’instant le mieux conservé, et qu’elle constitue un réservoir biologique pour le fauve. Les points de densité réalisés par l’OFB ou des associations de défense de l’environnement estiment qu’il y aurait entre 2 et 5 individus tous les 100 kilomètres carrés, un chiffre relativement élevé. L’enjeu aujourd’hui, défini par la feuille de route «jaguar 2030» est d’entretenir des corridors écologiques entre les différents îlots de biodiversité, car les jaguars ont des domaines vitaux de 200 à 300 hectares et ont donc besoin de se déplacer beaucoup pour connaître un bon brassage génétique. Nous sommes donc dépendants des pays voisins, le Suriname et le Brésil, car s’ils continuent la déforestation massive, les corridors écologiques ne fonctionneront plus.

Comment expliquer le regain d’attaques de jaguars ces dernières années ?

Notre hypothèse, c’est que l’augmentation de la déforestation, en réduisant son territoire de chasse, pousse le jaguar à attaquer des animaux domestiques. Les attaques de bétail ne semblent pas être un comportement naturel, mais plutôt une déviance comportementale causée par la dégradation de son habitat. Tous les jaguars n’attaquent pas, loin de là. Parmi ceux qui le font, on pourrait distinguer deux types. Ceux qui pratiquent une prédation nourricière, tuent une bête et partent avec. Et ceux qui pratiquent les attaques comme un apprentissage de la chasse, notamment lorsqu’il s’agit de femelles accompagnées de leurs petits. Dans ces cas-là, l’abondance de bêtes sans défense pourrait provoquer des comportements de jeu ou de frénésie meurtrière.

Comment éviter l’augmentation de ces conflits ?

Pendant dix ans, l’OFB a tenté de capturer des individus qui posaient problème, sans succès : sur les quatre individus que nous avons réussi à capturer, deux sont revenus sur leur territoire alors qu’ils avaient été déplacés à 400 km de là. En 2018, on a arrêté les captures pour mettre en place des mesures de protection. C’est le sens de l’association Hisa. Les mesures ont bien sûr des limites, mais les premiers retours d’expérience semblent montrer que la prévention fonctionne.