Des 1 038 compagnons décorés de la croix de la Libération, Hubert Germain était le dernier. Le 14 octobre, ce combattant de la France libre, devenu chancelier d’honneur en 2020 de cet ordre quasi chevaleresque institué par le général de Gaulle, a quitté les rangs à l’âge de 101 ans. Comme l’avait formellement exprimé de Gaulle, le dernier des hommes à avoir combattu sous le drapeau à croix de Lorraine des Forces françaises libres (FFL) sera inhumé dans la crypte du mont Valérien aux côtés des résistants fusillés par les Allemands. Cette cérémonie se tient ce 11 novembre, d’abord à l’Arc de triomphe puis au mont Valérien. Deux jours après sa disparition, un hommage national lui avait été rendu dans la cour d’honneur des Invalides.
Pour le général Christian Baptiste, délégué national de l’Ordre de la Libération, Hubert Germain représentait cette génération du «non intransigeant», celui de quelques fortes têtes qui refusèrent la défaite et le déshonneur. Il faisait partie de ces rebelles qui fonctionnent de manière quasi instinctive, sur un simple coup de tête. Un réfractaire.
A la mi-juin 1940, alors qu’il passe le concours de l’Ecole navale, les troupes allemandes entrent dans Paris. Il se fend alors d’une copie blanche, s’assurant ainsi de ne pas avoir à servir dans une armée à la botte des troupes d’occupation. Sans même avoir entendu, le 18 juin 1940, l’appel d’un obscur général de brigade à titre provisoire à poursuivre le combat, il décide de rejoindre Londres. La concierge de son immeuble l’en aurait informé… Agé à peine de vingt ans, il embarque le 24 juin avec trois de ses camarades et des soldats polonais défaits à bord de l’Arandora Star à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques). Destination Liverpool. De là, il rejoint Londres et signe son engagement dans les FFL à l’Olympia Hall de Londres, transformé en centre de recrutement. Seulement 2 000 Français s’y retrouvent.
Quelles ont été les raisons de cet engagement sans faille ? Le patriotisme ? Le sens de l’honneur ? La volonté de participer à l’histoire et d’en contrarier le sens ? Le désir d’en découdre avec l’ennemi ? C’est sans doute un peu tout cela qui a poussé ce jeune homme issu des beaux quartiers de Paris à abandonner les promesses d’une carrière et d’une vie confortable.
De l’Indochine à la Palestine
Né le 6 août 1920, le fils du général polytechnicien Maxime Germain a suivi son père au gré de ses affectations au sein de l’empire colonial. De 1930 à 1932, il est élevé à la mission laïque franco-arabe de Damas en Syrie alors sous protectorat français. Il passera son bac au lycée Albert-Sarraut de Hanoï dans l’Indochine française, perle de l’empire. Habitué aux horizons inaccoutumés, le jeune garçon s’acclimate mal au ciel trop borné du retour en métropole. Son esprit frondeur lui vaudra d’être viré des grandes écoles parisiennes, Janson-de-Sailly, Louis-Le-Grand. En 1934, son père est affecté au cabinet du ministre de la Guerre, Philippe Pétain, le vainqueur de Verdun.
Après son engagement «pour la durée de la guerre», il est d’abord affecté à bord du cuirassé l’Amiral Courbet pour y suivre la formation d’élève officier de marine. Après le sabordage de la flotte française à Mers-El-Kébir, en Algérie, par les Anglais, du 3 au 6 juillet 1940, le moral dans la «Royale» y est au plus bas. Le défaitisme gangrène la flotte et les défections s’y font nombreuses. Hubert Germain s’en ouvre alors à son parrain et grand ami de son père, le général Legentilhomme, qui a refusé de se rallier à Vichy. Celui-ci le prend alors sous son aile et l’affecte au printemps 1941 à son état-major en Palestine. Hubert Germain participe à la campagne de Syrie puis suit les cours d’élève officier à Damas dont il sort aspirant. Ce qui lui vaut d’être nommé à l’état-major de la première Brigade française libre commandée par le général Pierre Kœnig. Après un passage au Caire où il s’ennuie, il demande à rejoindre les rangs de la Légion étrangère. En septembre 1942, il y intègre la 13e demi-brigade (DBLE), la fameuse «phalange magnifique» qui s’est déjà illustrée lors de la bataille de Narvik, d’avril à juin 1940. Hubert Germain devient un officier de légion se battant aux côtés d’étrangers qui ont choisi de servir sous le drapeau tricolore. Celui de la 13e DBLE, longtemps stationnée à Djibouti avant de rejoindre le plateau du Larzac, porte les couleurs de l’Ordre de la Libération. Il y combat avec, comme frère d’armes, Pierre Messmer, futur Premier ministre du Général de Gaulle et également compagnon de la libération.
«J’ai embrassé le sable et je me suis mis à pleurer»
Pour le sous-lieutenant Germain, les batailles les plus prestigieuses s’enchaînent qui vont le conduire des sables libyens jusqu’en Alsace et au-delà. En 1942, Bir-Hakeim où il fait son baptême du feu et El-Alamein. En 1944, campagne d’Italie où il est blessé près de Monte Cassino, à Pontecorvo dont le nom reste lié à celui de la famille Murat et de l’épopée napoléonienne puis vient le débarquement de Provence en août 1944. «J’ai embrassé le sable de la plage et je me suis mis à pleurer», racontera-t-il des années plus tard. Démobilisé en 1946, il devient aide de camp du général Koenig, commandant les forces françaises d’occupation en Allemagne.
Hubert Germain décide alors de se rendre à la vie civile. Il travaille un temps pour une compagnie chimique avant de se lancer dans une brève carrière politique devant plus aux fidélités nées sous le feu et au gaullisme qu’à des ambitions personnelles. Il sera maire de Saint-Chéron, une petite commune de l’Essonne avant de devenir ministre des Postes, télégraphes et téléphones (PTT) puis des relations avec le Parlement sous les trois gouvernements Messmer. Ce grand républicain était également membre de la Grande Loge de France et un des fondateurs de la loge «Pierre Brossolette», journaliste et résistant torturé par la Gestapo.