Les riverains du stade de Cavani, un quartier populaire de Mamoudzou, avaient donné jusqu’au 10 mars au préfet de Mayotte pour démanteler le camp des migrants africains qui occupent l’enceinte sportive depuis des mois. Sous pression, le représentant de l’Etat, François-Xavier Bieuville, s’emploie à venir à bout de ce «totem», son expression pour évoquer ce qui est devenu aujourd’hui le symbole d’une immigration incontrôlée en provenance d’Afrique. Jeudi 14 mars, les pouvoirs publics ont «détruit une dizaine de tentes et évacué une cinquantaine de migrants», comptabilise Frédéric Sautron, sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration clandestine. La semaine précédente, une centaine de personnes avait déjà été prise en charge, après l’envoi en métropole, fin février, de plus de 300 migrants. Mais à ce jour, il reste encore près de 200 immigrés, qui dorment sur des matelas à même le sol, assaillis de moustiques, trempés par les pluies tropicales, enfumés par les feux d’ordures.
Ces familles ont fui les persécutions dans leur pays d’origine (République démocratique du Congo (RDC), Rwanda, Burundi, Somalie…) et rêvent de gagner la métropole. Les deux frères d’Antoinette, 32 ans, «ont été égorgés dans un champ car ils devaient hériter du trône de mon père», un chef coutumier d’une minorité ethnique de RDC. La Congolaise s’enfuit alors en Ouganda où elle rencontre Jacques, lui-même réfugié, puis en Tanzanie. Les deux migrants entendent alors parler de Mayotte, où ils pourraient demander l’asile. Un homme leur propose la traversée, entre Dar es Salaam et l’île française, à bord d’un kwassa-kwassa, une barque motorisée, pour la somme de 1 800 euros. Durant quatre jours de mer, le couple et ses deux jeunes enfants se nourrissent de «corn-flakes, de sucre et de mangues».
«Les forces de l’ordre sont tétanisées»
Dans le stade de Cavani, les récits se ressemblent. Alphonsine, blessée à la tête «par les milices» congolaises, dont le père a été tué «par des rebelles», a aussi pris le risque d’embarquer pour Mayotte. Le département est depuis des dizaines d’années confronté à l’arrivée de migrants clandestins comoriens, qui franchissent le bras de mer de 70 km séparant leur pays de l’eldorado français. Mais depuis 2018 environ, les passeurs ont trouvé un nouveau filon, avec les migrants africains, qui doivent, eux, effectuer une traversée de près de 1 000 km, le plus souvent transbordés d’une barque à l’autre en pleine mer.
Leur arrivée et leur concentration sur le stade de Cavani ont provoqué l’exaspération des Mahorais en fin d’année 2023. En janvier et février, le collectif de citoyens «les Forces vives» a dressé des barrages, paralysant le département. Habitants comme élus en veulent aux associations qui accompagnent les Africains. C’est le cas du député LR Mansour Kamardine : «En Afrique, tout le monde connaît le numéro de téléphone de Solidarité Mayotte ! Une fois chez nous, les migrants n’ont qu’un mot à dire : “asile”. Alors les forces de l’ordre sont tétanisées, comme si elles avaient reçu un coup de Taser !»
Ce qui choque le parlementaire n’est pourtant que la stricte application de la loi. «Au regard du droit français, les demandeurs d’asile sont des personnes en situation régulière», rappelle le directeur adjoint de Solidarité Mayotte, Gilles Foucaud. Et d’asséner cette évidence : «Notre association n’a aucun lien avec des réseaux de passeurs.» Solidarité Mayotte a répondu à un appel à projets de l’Etat : lorsqu’ils accostent à Mayotte, les migrants africains, après un passage, ou non, par le centre de rétention administrative, sont orientés vers l’association, au regard de leur nationalité. Les services de l’Etat font la différence entre les immigrés comoriens et africains. Les premiers ont très peu de chance d’obtenir le droit d’asile et sont rapidement expulsés, puisque leur pays n’est pas en guerre. Les seconds répondent au contraire, pour la plupart, aux critères de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
«Notre personnel est insulté»
Solidarité Mayotte les aide alors à constituer leur dossier. La préfecture leur délivre ensuite une attestation et l’Ofpra les convoque pour un entretien. Le temps qu’ils obtiennent le statut de bénéficiaire de la protection internationale, les réfugiés sont hébergés. Solidarité Mayotte met à leur disposition 450 places en Huda (hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) et quelques dizaines d’autres solutions de relogement. Les migrants perçoivent en outre une somme de 30 euros par mois.
Mais face à l’afflux des arrivées – plus de 2 000 en 2023 –, l’Etat a manqué de places d’hébergement. Il a dû faire appel à une autre association, Mlézi Maoré, qui a à son tour essuyé les menaces de la population. «Nos locaux ont été cadenassés et notre personnel insulté, regrette le directeur, Hugues Makengo. Hier encore, une psychomotricienne, lynchée verbalement, a démissionné.» Tant et si bien que Mlézi «hésite» à répondre à un nouvel appel à projet de l’Etat qui prévoit la création de 80 places supplémentaires destinées aux migrants.
Une fois que ces derniers ont obtenu le statut de réfugié, leur accompagnement se tarit. Lydia, arrivée en août 2022 à Mayotte, subsiste aussi grâce aux petits boulots de son mari, qui ramène «5 à 10 euros par jour». «Mes enfants ont faim…» Assise sur le même matelas, Rehema hoche la tête : les siens n’ont pas mangé ce soir. Ashoula, elle, raconte comment le collectif des Forces vives a contraint la Mahoraise qui l’hébergeait et l’employait depuis deux ans comme femme de ménage à la chasser.
3 600 migrants africains aidés en 2023
Les migrants, pour leur grande majorité en situation régulière, se retrouvent donc sur le stade de Cavani, suscitant l’ire d’Ambdilwahédou Soumaïla, le maire de Mamoudzou. «Je reçois les plaintes des riverains, qui se font voler de la nourriture et des vêtements», assure l’élu LR, qui s’en prend lui aussi aux associations. «Solidarité Mayotte touche des millions pour accompagner les migrants. On peut se demander où va cet argent quand on voit comment elle s’en occupe !»
Réponse des intéressés : Solidarité Mayotte consacre environ 4,4 millions d’euros aux migrants africains, dont 3 600 l’ont sollicitée en 2023. Le démantèlement du stade de Cavani ne signifiera donc pas la fin de la crise ; il en cachera simplement la plus visible de ses manifestations.